Heureusement que Justine a la présence d'esprit de se caler contre le mur. La bouteille la surprend en tombant. Un cri meurt sur ses lèvres. Elle a failli se faire avoir. Ne pas crier. Elle se presse encore plus contre les planches en entendant un glissement à l'intérieur des tuyaux. Elle perçoit trois impacts dans la caisse, attend encore en espérant qu'ils vont leur donner plus de vivres . Mais rien de plus n'arrive . Elle a tellement soif! Elle fouille du regard les endroits où ont pu chuter les bouteilles d'eau. Elle s'imagine déjà en train de boire. Mais ils sont assez cruels pour leur avoir expédié des leurres. Elle voit les contours bleutés d'une bouteille. Elle a atterri tout près d'elle, elle s'en saisit et la serre contre elle en pleurant presque de joie.
- Tranquille . S'intime t'elle à haute voix. Juste deux gorgées.
Elle prend le temps de se pousser contre un des bords, essaie de s'asseoir à moitié en calant le bas de son dos contre le bois. Cette position lui fait tellement mal aux cervicales et aux épaules! Ne pas y penser. Juste ne pas gaspiller une seule goutte d'eau. Pliée en deux, elle se rend compte que même un geste aussi simple va devenir périlleux. Elle ouvre doucement le bouchon de la bouteille en la posant sur le fond de la caisse entre ses jambes, et la soulève précautionneusement. Elle a les mains qui tremblent d'impatience et doit s'y reprendre à trois fois pour porter le goulot à sa bouche et ingurgiter juste deux longues gorgées. Quel bonheur! Elle savoure cet instant. Mais la soif s'intensifie, loin de l'avoir calmée boire l'a attisée.
- Cherche la nourriture , pense à autre chose .
Ce doit être le début de la soirée car la lumière est en train de décliner dans la caisse. Elle se concentre pour tenter de distinguer ce qui est tombé. Elle voit non loin d'elle une forme sur le sol. Elle se plie encore plus en deux, son ventre touchant presque ses cuisses et étire autant qu'elle le peut son bras. Le bout de ses doigts rencontre une chose qu'elle ne peut identifier mais qui doit être entourée de papier. Ses doigts glissent dessus. Elle les allonge pour s'en saisir mais le pousse juste assez pour ne plus pouvoir l'attraper.
- Putain! Mais c'est la poisse!
Elle prend une grande inspiration ,écarte encore un peu les jambes ce qui lui permet de descendre à peine un peu plus son buste et tâtonne très lentement à la recherche du papier et surtout de ce qu'il contient. Les muscles de ses cuisses se tétanisent , elle s'obstine, met toute sa volonté dans cette dernière tentative et réussit à s'en emparer. C'est sûrement une barre protéinée. Elle la serre très fort et se rallonge tant bien que mal. Il fait maintenant quasiment nuit. Sans le jour et les lumières qui sont à présent quasiment inexistantes elle ne peut pas vraiment voir ce qu'elle contient . Elle sait juste qu'il y en a d'autres dans la caisse. Elle se contentera de celle- là pour ce soir. Elle aura encore plus faim demain. Heureusement qu'elle a pensé à ramener le rouleau de papier et la boite en plastique près d'elle . Car outre la faim et la soif , elle sent qu'elle ne va pas pouvoir se retenir longtemps. Un poids écrase sa vessie. La caisse est maintenant plongée dans un noir total. Justine ferme les yeux. L'odeur de la terre et de l'humus est tellement présente, le froid aussi .Il ne faut pas qu'elle reste sans bouger. Elle tape dans ses mains et fait des cercles avec ses poignets, lève un peu chaque jambe ,les plie autant que l'espace entre elle et le plafond le lui permet .
- Trouve les autres barres. Allez secoue toi!
Elle cherche à l'aveugle se tournant doucement d'un côté et de l'autre. Elle en sent une autre sous sa jambe droite. Elle la replie le plus délicatement possible et s'en saisit.
- Et de deux! Entendre sa voix la rassure. Ca y est! J'en ai deux!
Elle pense à ses enfants et à son époux. Il doit être en train de les coucher. Louise doit pleurnicher en demandant quand rentre sa maman et Jules doit être complétement angoissé. Comme ils lui manquent! Elle est submergée par l'émotion. Elle voudrait rentrer, les voir, les serrer dans ses bras, leur chanter leur berceuse du soir. Elle se dit qu'elle ne va pas tenir. Sa tête se met à tourner, son cœur à palpiter. Elle est prête à hurler. Tant pis! Tout ce qu'elle désire à cet instant c'est sortir de ce cercueil. Son dos est tellement douloureux qu'elle a envie de pleurer, elle ne sent déjà plus ses pieds à cause du froid et son envie d'uriner devient pressante. Elle se ressaisit. Ne pas abandonner. Ne pas crier. Toujours avec les yeux fermés elle ouvre la première barre.
- Mange doucement. Et ensuite tu t'occuperas du reste.
Elle croque dedans. Le gout est insipide, la texture granuleuse, mais c'est tellement bon de se nourrir . Elle la mâche longuement et met tout autant de temps à l'avaler. Manger lui a donné encore plus soif. Elle prend la bouteille, retourne dans sa position grotesque, boit encore deux gorgées et attend quelques minutes sans bouger. Sa tête tourne déjà moins. Elle rapproche la boite en plastique d'elle, ne sachant pas trop comment elle va réussir à s'en servir. Elle remonte son manteau et détache son pantalon. Elle le descend jusqu'à ses chevilles, se contorsionne et baisse sa culotte en même temps. Elle coupe un morceau de papier et le laisse à portée de main. Elle se concentre le plus possible pour ne pas se mouiller, elle ne peut pas se le permettre, il fait bien trop froid. Elle plie ses jambes, les pieds bien ancrés dans le sol et soulève son bassin ,glisse la boite sous ses fesses et urine. Sa doudoune ne semble pas souillée . Elle retire doucement la boite toujours à l'aveugle, remet le couvercle et la pousse juste un peu plus loin. Toujours avec le bassin relevé et des élancements terribles dans les reins et les cuisses, elle s'essuie et se rhabille péniblement. L'opération l'a épuisée.
Il faut qu'elle essaie de s'endormir. Il doit être très tard maintenant, elle a de plus en plus froid . Elle rapproche le récipient avec l'urine et met ses mains dessus .Quel soulagement! Cette chaleur lui fait du bien. Elle est prise d'un rire nerveux. Qui aurait pu croire qu'un jour , elle serait heureuse de pouvoir se réchauffer avec sa propre pisse! Décidemment, ils savent vraiment comment s'y prendre pour qu'elles se sentent humiliées et avilies. Et pendant qu'elle rit ,incapable de maitriser ce fou rire hystérique, elle se dit qu'ils ne l'auront pas ,qu'elle crèvera là s'il le faut, mais qu'elle ne leur fera pas le plaisir de hurler ou de demander à sortir. Elle va rester le temps nécessaire dans cette putain de caisse , mais elle se qualifiera! Et elle leur fera payer ! D'une manière ou d'une autre.
Son rire se calme peu à peu . La soif la tenaille toujours , mais elle décide de ne pas en faire cas. Elle verra demain. Elle se recroqueville le front et les genoux collés sur une des parois, cale la boîte en plastique contre son ventre pour profiter encore un peu de sa chaleur et sourit en pensant à ce que lui dit toujours Vincent:
"Toi ,tu arriverais même à dormir contre un rocher."
- C'est le moment de vérité . Dit-elle à haute voix se forçant à sourire à la nuit.
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L'Émancipation
AdventureEn 3024, les femmes sont divisées en deux groupes, les mères au foyer et les Sans Fonction. Leur seule obligation procréer ou servir. Sous prétexte de surpopulation, de pollution et de manque de ressources naturelles, les femmes ont peu à peu été él...