Je m'appelle Oleksandr Petrov. Je suis né et j'ai grandi à Odessa, une ville portuaire dynamique au bord de la mer Noire. Mes parents étaient des musiciens passionnés. Mon défunt père, Ivan, était un pianiste russe, quand à ma mère, Elena, était une violoniste talentueuse Ukrainienne. Mes deux grandes sœurs et moi-même, nous avons grandi dans une maison remplie de mélodie musicale et d'amour.
Après avoir obtenu mon certificat complet de l'enseignement secondaire, je me suis orienté vers l'apprentissage en ébéniste. Puis est venu le moment d'accomplir mon service militaire obligatoire à l'âge de 18 ans, j'ai rejoint l'armée ukrainienne, comme le faisaient beaucoup de jeunes de mon âge à l'époque. Pendant deux ans, j'ai servi avec dévouement. Une fois mon service terminé, je suis retourné à Odessa, mais les perspectives d'emplois limitées m'ont poussé à envisager un avenir ailleurs.
Inspiré par les récits de réussite des travailleurs migrants, j'ai décidé de tenter ma chance dans la capitale russe. À l'âge de 20 ans, armé de mes compétences, je me suis installé à Moscou pour chercher fortune. J'ai rapidement trouvé du travail, réalisant des meubles sur mesure pour une clientèle exigeante. Honnêtement, je gagnais bien ma vie.
Quelques années plus tard, j'ai rencontré Sarah, une étudiante anglaise venue à Moscou dans le cadre d'un programme d'échange universitaire. Nous sommes tombés amoureux, et en 1994, nous nous sommes mariés. Un an plus tard, en 1995, notre fille Lina est née, remplissant notre quotidien de joie et de bonheur. Malheureusement, j'ai perdu mon père cette même année. Afin de ne pas laisser seule ma mère, nous avons décidé, Sarah et moi de s'installer avec notre bébé chez ma doyenne. Cette dernière est très attachée à Lina.
Seulement Sarah a eu du mal à s'adapter à cette situation, et sa santé mentale en a souffert. Elle a dû faire de long séjour à l'hôpital, Lina a donc passé ses premières années entourées de moi et de sa grand-mère.
Cinq ans plus tard, en 2000, nous avons décidé de quitter Odessa pour commencer une nouvelle vie à Londres. Et cette même année, notre deuxième fille, Olivia est née.
Cette dernière est très proche de sa mère. Malgré son jeune âge de 22 ans, elle a décidé de se marier et est maintenant enceinte de son premier enfant. Tout comme Sarah, Olivia a choisi d'être une heureuse mère au foyer.
Lina, quant à elle, est plus proche de moi. Elle a gardé en elle un mélange de cultures ukrainienne et anglaise. De plus, elle tient sa passion pour la musique de sa grand-mère Elena. Elle a toujours été plus indépendante et aventureuse, cherchant à tracer son propre chemin, souvent éloigné des conventions.
Aujourd'hui, des années plus tard, les circonstances m'ont ramené sous les drapeaux. La mobilisation générale a été annoncée, et malgré mon âge, j'ai répondu à l'appel.
Quelques semaines après mon adhésion, Lina a décidé de me rejoindre en Ukraine pour se battre à mes côtés en tant que volontaire. Cette décision ne m'a pas du tout surpris. Je connais bien ma fille. Au moment où je l'avais quittée à l'aéroport, je savais que je la reverrais bientôt, ici, sur notre terre natale.
Lina m'inspire profondément. Bien que je ne comprenne pas tous les détails de son métier, je sais que dans ce genre de profession, l'absentéisme peut mettre fin à une carrière. Son courage va au-delà des simples actions militaires ; elle a volontairement choisi de mettre sa vie au service de l'Ukraine, contrairement à moi qui n'ai pas eu le choix avec la mobilisation. Elle a choisi de quitter une vie stable et une carrière prometteuse pour se battre pour notre terre natale. Cela montre une détermination et une bravoure que peu de gens possèdent.
Je pense souvent à Sarah et à Olivia, restées à Londres. Leur absence est douloureuse, mais je sais qu'elles sont en sécurité. Ma cadette, avec sa douceur et son amour pour la famille, prend soin de sa mère. Ma chère femme, malgré ses luttes, a trouvé une stabilité grâce à Olivia et à la perspective d'être bientôt grand-mère.
Chaque jour, je prie pour la sécurité de Lina. Je prie pour qu'elle soit protégée des horreurs de la guerre, pour que sa détermination reste intacte, et pour qu'elle trouve la force de continuer malgré les défis. Ma foi me soutient, m'aidant à affronter les jours les plus sombres avec un espoir persistant.
Mais après trois mois de prières quotidiennes, il semble que mon dieu ait cessé de m'entendre. Nous sommes samedi et il est 5 h du matin. Assis à l'arrière d'un BTR-4, mon corps bouge au rythme des secousses du véhicule. L'unité paramédicale de Lina a été appelée en urgence vers 1 h pour une extraction de blessés. Seulement, vers 3 h du matin, tout contact a été perdu avec son unité. Aux dernières nouvelles, ils ont été pris en embuscade et les survivants se sont réfugiés dans un bâtiment en ruine. Une demande de renfort pour un « nettoyage de la zone » a été faite. Faisant partie de l'infanterie de terrain, ce genre de « nettoyage » fait partie de mes missions.
Le véhicule s'arrête soudainement. Un ordre en ukrainien retentit, nous demandant de descendre. Rapidement, chacun sort du BTR-4. Je suis sur le qui-vive, l'arme en joue, regardant tout autour de moi, attentif au moindre détail.
L'édifice n'est pas loin. Le bruit des balles et des tirs résonne, créant une symphonie chaotique. Des éclats de tirs de chars se font entendre au loin, secouant la terre sous nos pieds. Une odeur âcre de fumée et de poudre envahit mes narines, se mêlant à l'odeur métallique du sang.
Je me fraye un chemin vers le bâtiment, mon cœur battant à tout rompre. Plusieurs ennemis sont hors d'état de nuire, leurs corps éparpillés dans le paysage dévasté. Le sol est jonché de débris et de douilles vides. Les murs de l'immeuble sont criblés d'impacts de balles, témoins silencieux de la violence qui s'y est déroulée.
À mesure que nous nous approchons, les tirs se font plus intenses. Mes camarades et moi avançons prudemment, cherchant à éviter les zones les plus exposées. Le stress et l'adrénaline rendent chaque seconde interminable, mais je garde Lina en tête.
Je m'engage dans le bâtiment avec détermination, mon regard balayant rapidement les environs, mettant à terre chaque ennemi qui ose se mettre en travers de ma mission. À l'intérieur de la structure, la tension est palpable. Je me fraye un chemin à travers les décombres, mon cœur battant la chamade. Soudain, je me retrouve face à une partie de l'équipe médicale, mais Lina n'est pas parmi eux.
Je demande à Piotr où se trouve ma fille, mais avant qu'il ne puisse répondre, un tir ennemi nous oblige à nous planquer derrière un mur. Je repère rapidement la source du tir et riposte avec précision, mettant hors d'état de nuire l'assaillant.
Lorsque l'ennemi cesse de répondre à mes tirs, je calcule rapidement le chemin le plus court et potentiellement sécurisé pour atteindre les escaliers menant à l'étage. Des bruits précipités se font entendre là-haut, et soudain un cri suivi de tirs glace mon sang. C'est la voix de ma fille.
Je grimpe rapidement les escaliers, chaque marche résonne comme un écho de mon impatience et de mon anxiété. Chaque battement de mon cœur semble amplifié par l'urgence de la situation. Je sais que chaque seconde compte, que chaque pas me rapproche un peu plus de ma fille bien-aimée.
Arrivé à l'étage, je me retrouve dans un couloir sombre et étroit, baigné dans une atmosphère oppressante. Je me fraye un chemin avec précaution, mon arme prête, mon esprit submergé par l'angoisse de ce que je pourrais découvrir. Mon cœur se serre douloureusement en voyant la scène qui s'offre à moi. Lina est là, assise contre le mur, tenant son fusil d'assaut dans ses mains tremblantes. Devant elle, un corps repose dans une mare de sang, silencieux témoin du récent affrontement. Les éclats de verre jonchent le sol, mêlés aux douilles vides.
Je m'approche lentement, et c'est alors que je remarque les marques sur son visage. Un bandage enroulé autour de son menton est imbibé de sang semi-sec, laissant présager une blessure profonde qui a saigné plus d'une fois. Des taches de sang séché parsèment le haut de sa tenue de combat, formant un contraste saisissant avec le tissu vert olive.
Je me précipite vers elle, mon instinct paternel prenant le dessus sur l'inquiétude qui menace de m'engloutir. Je la prends dans mes bras, essayant de la réconforter malgré le tumulte de mes propres émotions. Mes mots sont doux, mes gestes rassurants, mais je sens la peur et l'horreur de la guerre dans ses yeux.
J'ai à peine le temps d'analyser la gravité des blessures de ma fille, qu'un ordre urgent retentit dans ma radio. Les chars ennemis se dirigent vers nous. Mon instinct de survie de soldat prend aussitôt le dessus.
Sans hésiter, je demande à Lina de se lever, l'aidant à se relever en la soulevant par la bretelle de son sac. Je la tiens fermement, la guidant à travers le chaos du bâtiment en ruine. Chaque seconde compte alors que je la tire, son pas est réticent, trahissant la difficulté de la situation. Mais à peine sommes-nous sortis du bâtiment que Lina s'arrête brusquement, son visage se décomposant de nausée. Je la soutiens autant que je le peux, sachant que la bataille n'est pas terminée, mais pour l'instant, ma priorité est de prendre soin d'elle.
Elle s'essuie la bouche avec la manche de sa veste à moitié tachée de sang et de poussière. Les yeux de ma fille, habituellement si plein de détermination sont embués de larmes et perdus dans le chaos de ses pensées. Je ressens une douleur lancinante en voyant sa vulnérabilité si clairement exposée.
— Lina, murmure-je d'une voix que je tente de garder calme malgré l'émotion qui me submerge. — Regarde-moi, ma puce.
Je prends délicatement son visage entre mes mains, l'obligeant à rencontrer mon regard. Je vois la confusion, la peur et la douleur dans ses yeux, et cela me brise le cœur.
— Ce que tu ressens en ce moment, c'est normal, continue-je, ma voix presque un murmure dans le tumulte qui nous entoure. — Chaque soldat doit affronter ce moment difficile. Même moi... la première fois que j'ai dû... faire ce que tu viens de faire, j'ai ressenti cette même nausée, ce même choc.
Je laisse mes mots flotter dans l'air lourd de tension, espérant qu'ils offrent ne serait-ce qu'un soupçon de réconfort à ma fille. Mais je sais que nous ne pouvons pas rester là. Nous sommes vulnérables, exposés aux dangers qui rôdent autour de nous.
— Mais tu dois te relever, Lina. Nous ne pouvons pas rester ici. Nous devons retrouver les autres, au point d'extraction. C'est là que nous serons en sécurité. Tu es forte, ma fille. Je suis là, nous sommes ensemble. Allons-y, maintenant.
Les paroles semblent avoir un effet immédiat sur Lina. Elle prend une profonde inspiration, essuyant rapidement ses larmes d'un geste tremblant. Elle saisit fermement son fusil d'assaut entre ses mains, et je vois son regard changer, une lueur de détermination prenant le dessus sur la peur.
Elle hoche la tête et je la laisse passer devant moi, prêt à la protéger de tous les dangers qui pourraient surgir. Les bruits de la guerre résonnent au loin, mêlés aux craquements des branches sous nos pieds et aux sifflements des balles qui déchirent l'air. Chaque pas que nous faisons soulève des feuilles mortes, et les tiges basses griffent nos vêtements. Je vois Lina sauter agilement par-dessus un tronc d'arbre tombé, son fusil fermement tenu contre son corps. Elle a l'allure différente maintenant, une soldate aguerrie qui a pris le dessus sur la jeune femme vulnérable que j'ai trouvée il y a quelques instants.
Mon cœur se serre en la regardant. C'est un moment complexe et fort, où la fierté et la peur se mêlent. C'est ma fille, ma petite Lina, mon bébé, qui court devant moi, déterminée à survivre. Chaque mouvement qu'elle fait est précis, calculé. Je la vois jeter des regards rapides autour d'elle, prête à réagir au moindre danger.
Enfin, nous atteignons le point d'extraction. Au bord de la forêt, à notre droite, un premier BTR-4 part à toute vitesse, soulevant un nuage de poussière. À notre gauche, un autre BTR-4 est en attente, son arrière ouvert. Piotr et d'autres soldats sont positionnés, leur fusil en joue, protégeant le véhicule en attendant notre arrivée.
Je pousse un dernier cri d'encouragement à Lina, et nous fonçons vers le BTR-4. Les combattants nous couvrent, tirant sur les ennemis qui tentent de nous atteindre. L'arrière du véhicule se rapproche, et avec un dernier effort, nous nous jetons à l'intérieur. Lina s'effondre sur l'un des sièges, haletante.
Lorsque nous arrivons aux camps de base, ma fille est immédiatement prise en charge par l'équipe médicale et emmenée à l'infirmerie. Quant à moi et au commandant de l'équipe paramédicale, nous recevons l'ordre de se rendre auprès du général pour faire un compte rendu de nos missions respectives.
Dans la salle de réunion, nous faisons face à notre supérieur. Le commandant décrit avec une précision clinique l'enfer qu'ils ont vécu. La prise d'embuscade près de la tranchée, la violence extrême des affrontements, les pertes qu'ils ont subies pendant qu'ils tentaient de survivre, coincés, dans ce trou d'obus. Ils étaient sous des tirs d'artillerie lourde, plusieurs soldats ont été touchés par des débris mortels. Malgré les premiers soins que Lina avait prodigués, le blessé qu'ils avaient tenté de sauver a succombé à ses blessures. Ils ont dû le laisser derrière eux, avec d'autres camarades morts sur place, et se réfugier dans ce bâtiment en ruine, presque à court de munitions avant notre arrivée.
En écoutant ce récit, une vague d'émotion m'envahit. J'aurais pu perdre ma fille aujourd'hui.
À l'infirmerie, je trouve Lina allongée sur un lit de camp, endormie sous l'effet des calmants. Son visage est plus détendu maintenant, mais les traces de la bataille sont encore visibles. Le médecin m'explique rapidement qu'elle a eu de la chance : le morceau de débris qui l'a touchée au visage lui a seulement coupé la lèvre et cassé une dent. Les points de suture ne laisseront qu'une petite cicatrice, et elle pourra se faire poser une fausse dent. Quant aux autres blessures, elles sont superficielles et disparaîtront avec le temps. Je remarque ses affaires personnelles posées à côté de son lit. Je prends son fusil et son casque, couverts de terre, de poussières et de tache de sang. De retour dans ma tente, je m'installe et commence à les nettoyer méthodiquement. Chaque mouvement est un acte de soin, un moyen de m'occuper l'esprit et de sentir que je peux encore protéger ma fille. Le bruit des tirs résonne également dans ma tête, mais ici, dans cette tente, je trouve un semblant de paix en m'occupant de l'équipement de Lina.
En retournant son casque, je m'arrête brusquement. Coincée dans le rembourrage, il y a une photo. C'est une pratique courante pour les soldats de garder des photos de leurs proches dans leurs casques, un rappel de ce pour quoi ils se battent. Moi-même, j'ai une photo de Sarah et mes filles glissée dans le mien. Je la prends lentement, avec précaution, comme si elle pouvait se désintégrer sous mes doigts et je la regarde attentivement. La photo montre mon aînée couchée dans l'herbe, blottie dans les bras d'un jeune homme que je ne reconnais pas. C'est ce dernier qui semble prendre un selfie d'eux. La tête de ma fille est nichée dans le cou du jeune homme, et leurs visages affichent des sourires éclatants, pleins de vie et de bonheur.
Qui est cet homme ? À quel point est-il important pour ma fillette ? Sont-ils ensemble ?
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Entre deux chemins
RomanceValentin, un chanteur de rock, se trouve au cœur d'une tourmente émotionnelle. D'un côté, son ex-petite amie Jade refait surface, ravivant des sentiments passés. De l'autre, Lina, une amie proche avec qui il partage une relation singulière, dépassan...