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Les jours passaient, et Lori n'était plus qu'un souvenir lointain dans la maison. Son absence, pourtant, se faisait sentir d'une manière étrange. Ce n'était pas que nous la regrettions, ni moi, ni même les enfants, mais il y avait cette sensation permanente d'un danger suspendu au-dessus de nos têtes. Comme si à tout moment, elle pouvait surgir et tout balayer d'un revers de main, comme elle l'avait fait avec moi. Ce qui était étrange, c'est que même en étant à des centaines de kilomètres, Lori semblait toujours omniprésente.

Je continuais de m'occuper des enfants avec la même attention que d'habitude, plongeant dans cette routine réconfortante. Judith avait pris l'habitude de m'appeler « mamam », un son qu'elle répétait souvent sans comprendre sa signification, mais chaque fois qu'elle le faisait, mon cœur se serrait un peu. Je savais qu'elle appelait sa mère, mais c'était moi qui étais là, jour après jour, à prendre soin d'elle. Carl, de son côté, était toujours curieux et joyeux, même si je le sentais plus silencieux depuis le départ de Lori. Il observait beaucoup, comme si quelque chose le troublait.

Et puis, il y avait Rick. Rick qui, malgré tous mes efforts, n'avait jamais vraiment quitté mon esprit.

Chaque matin, je me levais avec la résolution de ne plus me laisser troubler par lui. Je me rappelais sans cesse que je n'étais qu'une employée, que ma place était temporaire dans cette maison. Mais chaque fois que je croisais son regard, ces résolutions s'effritaient, se dissolvaient dans une confusion de sentiments que je ne voulais pas affronter.

Depuis cette nuit où il avait frappé à ma porte, les choses entre nous étaient devenues... tendues. Nous nous évitions, tout en restant coincés dans la même maison, obligés de partager des espaces communs sans jamais vraiment nous parler. Il y avait des moments où je pouvais presque sentir son regard sur moi, comme une brûlure que je ne pouvais pas ignorer. D'autres fois, c'était l'absence de mots entre nous qui pesait le plus. Ce silence était assourdissant, plus bruyant que toutes les discussions que nous aurions pu avoir.

Un après-midi, alors que je finissais de ranger la cuisine après le déjeuner, j'entendis des pas lourds derrière moi. Mon corps se tendit immédiatement, comme si je savais instinctivement que c'était lui avant même de me retourner. Je restai concentrée sur ce que je faisais, essuyant le comptoir avec une attention minutieuse, espérant qu'il passerait son chemin.

Mais il ne le fit pas.

- Elyria, il faut qu'on parle, dit-il doucement.

Je fermai les yeux un instant, tentant de me calmer avant de lui faire face. Quand je me retournai finalement, il se tenait là, à quelques pas de moi, les bras croisés et l'air plus fatigué que je ne l'avais jamais vu. Il y avait quelque chose dans ses yeux, une sorte de vulnérabilité que je n'avais jamais remarquée auparavant. Cela me déstabilisa immédiatement.

- Rick, je suis occupée, répondis-je, tentant de garder ma voix aussi froide que possible.

- Non, tu ne l'es pas, rétorqua-t-il sans détour. On sait tous les deux que tu m'évites, et... je ne peux plus faire semblant que tout va bien.

Je baissai les yeux, incertaine de ce que je devais dire. Il avait raison, bien sûr. Je l'évitais, et pas seulement à cause de Lori. C'était aussi parce que chaque fois que je le regardais, une partie de moi se souvenait de ces moments, de la douceur inattendue de ses gestes, et je ne pouvais pas gérer ce que cela faisait naître en moi.

- Il n'y a rien à dire, Rick, insistai-je. Ce n'est pas professionnel, et je ne suis pas ici pour... ça.

Le silence qui suivit fut lourd, étouffant. Je sentais la tension entre nous s'intensifier, et c'était presque insupportable. Mais je refusais de céder, refusais de le laisser entrer à nouveau dans cet espace émotionnel que j'avais mis tant d'efforts à verrouiller.

- Ce n'est pas une question de professionnalisme, Elyria, dit-il finalement, sa voix plus douce. C'est toi et moi. C'est ce que tu ressens, ce que je ressens.

Mon cœur fit un bond dans ma poitrine. Ces mots, je ne voulais pas les entendre. Ils compliquaient tout, rendaient tout réel. Et pourtant, là, dans cette cuisine, face à lui, je ne pouvais plus fuir. Mes mains tremblaient légèrement, et je les serrai pour tenter de les contrôler.

- Ce n'est pas possible, murmurai-je, les yeux toujours baissés.

Rick s'approcha lentement, jusqu'à ce qu'il soit juste en face de moi. Je sentais la chaleur de son corps, sa présence était écrasante. Il leva une main, et pendant un instant, je crus qu'il allait toucher ma joue. Mais il s'arrêta, sa main suspendue entre nous, comme un pont qu'il hésitait à franchir.

- Pourquoi pas ? chuchota-t-il, sa voix plus douce encore, presque suppliante.

Je levai les yeux vers lui, et pour la première fois depuis longtemps, je le regardai vraiment. Il n'était plus cet homme distant et froid, ce milliardaire inaccessible. Il était juste... Rick. Un homme qui semblait aussi perdu que moi. Et cela me terrifiait.

- Parce que... tu es marié, répondis-je enfin, d'une voix brisée. Tu as une femme, Rick. Des enfants. Et moi... je ne suis personne.

Il ferma les yeux un instant, comme si mes mots l'avaient frappé de plein fouet. Lorsqu'il les rouvrit, je vis une lutte dans son regard. Une bataille entre ce qu'il savait être juste et ce qu'il ressentait. Cette même bataille que je menais en silence depuis des jours.

- Elyria... commença-t-il, mais je l'interrompis.

- Non, Rick, dis-je en secouant la tête. Ce n'est pas possible. Je ne peux pas être celle qui détruit ta famille. Je ne peux pas être celle qui brise tout ça.

Ma voix tremblait maintenant, et les larmes menaçaient de couler, mais je les retins. Je refusais de pleurer devant lui.

- Je suis ici pour m'occuper de tes enfants, continuai-je, mes mots à peine plus qu'un murmure. Pas pour... pour compliquer ta vie.

Il resta silencieux, et je pus voir la frustration et la douleur passer sur son visage. Finalement, il laissa retomber sa main, reculant légèrement.

- Je comprends, souffla-t-il, même si sa voix trahissait le contraire.

Le silence s'installa à nouveau entre nous, cette fois plus lourd que jamais. Je sentais que c'était peut-être la fin, que cette conversation venait de dresser une barrière définitive entre nous. Et pourtant, au fond de moi, je savais que rien n'était vraiment terminé. C'était une pause, une accalmie dans une tempête qui grondait encore sous la surface.

- Je vais... retourner travailler, dis-je finalement, brisant le silence.

Rick ne répondit pas. Il me regarda simplement, ses yeux sombres et insondables, avant de hocher la tête. Je quittai la cuisine sans un mot de plus, le cœur lourd, et montai directement dans ma chambre.

En m'asseyant sur le lit, je réalisai que quelque chose venait de changer, encore une fois. Ce moment entre nous, bien que court, avait laissé une marque indélébile. Malgré tout ce que je m'efforçais de croire, je savais que je ne pouvais pas continuer à prétendre que rien ne se passait entre nous.

Mais ce que cela signifiait réellement... Je n'étais pas encore prête à l'admettre.

BabyOù les histoires vivent. Découvrez maintenant