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La villa était plongée dans un calme oppressant ce matin-là. Les jours sans Lori avaient été marqués par une routine presque trop tranquille. Rick et moi avions échangé le minimum nécessaire, nous nous étions croisés sans vraiment nous parler, mais l'intensité de nos regards ne pouvait être ignorée. Chaque instant passé dans la maison semblait peser de plus en plus lourd. Pourtant, nous avions trouvé un fragile équilibre. Lori n'était pas là, et avec son absence, l'atmosphère était moins tendue.

Mais ce matin, tout changea.

Je l'entendis avant même de la voir. La porte d'entrée claqua, et les voix résonnèrent dans le hall. Lori était de retour. Ses talons résonnèrent contre le sol de marbre, chaque pas marquant son territoire. Elle entra dans le salon, ses lunettes de soleil perchées sur le haut de sa tête, un sourire figé sur le visage alors qu'elle saluait rapidement Rick avant de poser ses affaires avec nonchalance sur la table.

- Je suis de retour, lança-t-elle d'un ton sec.

Rick releva la tête de son journal, jetant un coup d'œil rapide vers elle avant de marmonner un vague "Salut" et de replonger dans sa lecture. Il semblait distant, comme souvent ces derniers temps, mais il ne laissa rien transparaître de plus.

Lori balaya la pièce du regard et me repéra immédiatement, debout près de la table à débarrasser les assiettes du petit déjeuner des enfants. Son sourire s'effaça en un instant, et une lueur glaciale prit place dans ses yeux.

- Oh, je vois que *tu* es toujours là, dit-elle d'un ton acerbe, ses mots tranchants comme une lame.

Je m'immobilisai, sachant que sa présence allait tout compliquer de nouveau. Mon cœur battait plus fort, mais je ne dis rien, continuant simplement à faire mon travail. Mais déjà, je sentais l'hostilité dans l'air, une tension qui n'avait fait que croître durant son absence et qui était prête à exploser.

Elle s'approcha lentement de moi, ses talons claquant toujours sur le sol, et je sentis son ombre se projeter sur moi avant qu'elle ne se penche pour examiner la vaisselle que je portais.

- Hmm... tu fais toujours ce genre de tâches basiques, je vois. À croire que tu n'as pas d'autres compétences, fit-elle remarquer avec une condescendance qui me fit tressaillir.

Je serrai les dents, essayant de ne pas réagir. Je savais que c'était précisément ce qu'elle cherchait : une réponse, une faiblesse à exploiter. C'était toujours ainsi avec elle, depuis le premier jour. Rick, lui, restait silencieux, toujours plongé dans son journal comme s'il ne voyait rien.

- Où sont Carl et Judith ? demanda-t-elle, sans même attendre de réponse avant de hausser la voix. *Carl ! Judith !* Je suis rentrée !

Les enfants apparurent rapidement, courant vers leur mère avec enthousiasme. Carl se jeta dans ses bras, tandis que Judith, encore trop petite pour comprendre l'absence de sa mère, babillait joyeusement en la regardant.

- Vous m'avez manqué, mes chéris, dit-elle avec une douceur qui contrastait violemment avec le ton qu'elle avait employé à mon égard.

Je restai à l'écart, tentant de me rendre invisible. Mais Lori me surveillait du coin de l'œil, guettant la moindre occasion de m'attaquer de nouveau. Après avoir câliné les enfants, elle se tourna vers moi, son regard glacial.

- Je ne sais pas comment Rick a pu supporter ton incompétence pendant mon absence, lança-t-elle avec un sourire en coin. Mais maintenant que je suis de retour, il est temps de remettre un peu d'ordre ici.

Je ne répondis pas. C'était inutile. Chaque confrontation avec elle se terminait de la même manière : elle gagnait, et je perdais un peu plus de ma dignité. Mais cette fois-ci, quelque chose était différent. Elle semblait plus agressive, plus déterminée à me pousser à bout.

Elle s'approcha encore, si près que je pouvais sentir son parfum, fort et oppressant.

- Qu'est-ce que tu fais encore ici, Elyria ? Tu penses vraiment que tu as ta place dans cette maison ? Tu crois que tu es indispensable ? Non, tu es juste... remplaçable.

Sa voix était un murmure empoisonné, mais suffisamment fort pour que Rick l'entende. Pourtant, il ne bougea pas, ne leva pas un seul regard de son journal.

- Tu sais, ajouta-t-elle, je suis sûre qu'on peut trouver une baby-sitter plus... qualifiée. Et peut-être un peu plus propre aussi.

Elle attrapa soudainement une assiette que j'avais posée sur la table et la jeta sur le sol. Le bruit de la porcelaine éclatant contre le marbre résonna dans toute la pièce, brisant le silence. Carl et Judith se figèrent, les yeux écarquillés, et mon cœur s'arrêta un instant.

- Oh, regarde ce que tu as fait, dit-elle d'une voix mielleuse, ses yeux perçant les miens. On dirait que tu ne sais même pas comment tenir une assiette correctement.

Je sentis la colère monter en moi, mais je l'étouffai aussitôt. Répondre ne ferait qu'aggraver la situation. Je me baissai doucement pour ramasser les morceaux éparpillés au sol, mes mains tremblantes d'un mélange de rage et d'humiliation.

C'est alors que je sentis une main agripper violemment mon poignet. Lori se tenait au-dessus de moi, son visage déformé par une colère que je ne comprenais pas. Elle se pencha, et avant que je ne puisse réagir, sa main s'abattit violemment sur ma joue. Le choc me fit basculer en arrière, mes doigts lâchant les morceaux de porcelaine que je venais de ramasser.

La douleur éclata dans ma mâchoire, et je restai figée un instant, incapable de comprendre ce qui venait de se passer. Les larmes montèrent aussitôt à mes yeux, mais je refusai de les laisser couler. Pas devant elle. Pas devant Rick.

Rick... Il n'avait toujours pas bougé. Il se tenait là, le regard dur, les poings serrés autour de son journal, mais il ne disait rien. Il me regardait comme s'il ne pouvait rien faire, comme s'il était impuissant face à sa femme. Et cela me blessa plus que la gifle elle-même.

Lori, quant à elle, souriait, satisfaite de son acte. Elle se redressa, lissant sa jupe, et fit mine de me laisser là, au sol.

- Nettoie ça, *si tu en es capable*, cracha-t-elle avant de tourner les talons.

Je restai un instant immobile, ma joue brûlante, la tête bourdonnante. Carl et Judith étaient muets, leurs yeux fixés sur moi avec une incompréhension totale. Ils ne comprenaient pas ce qui venait de se passer. Et peut-être que moi non plus, en vérité.

Quand Lori disparut enfin de la pièce, je tentai de me relever. Mes jambes étaient faibles, et ma main, toujours tremblante, toucha ma joue encore rouge et enflée. Rick était là, debout désormais, mais il ne s'approchait pas. Son visage était sombre, marqué par une expression indéchiffrable.

Il ouvrit la bouche, comme s'il allait dire quelque chose, mais les mots semblèrent lui manquer. Il détourna le regard, comme s'il était incapable de me regarder plus longtemps. Il ne fit rien. Rien du tout.

Sans un mot de plus, il sortit de la pièce, me laissant seule, à genoux sur le sol, entourée des débris de l'assiette brisée. Les enfants, eux, s'étaient déjà dispersés, ne comprenant pas vraiment l'ampleur de ce qu'ils venaient de voir.

Je restai là, seule, avec une nouvelle douleur dans la poitrine, une douleur qui ne venait pas seulement de la gifle. C'était la trahison silencieuse de Rick, son manque de réaction, qui me faisait le plus mal.

BabyOù les histoires vivent. Découvrez maintenant