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L'air était lourd tandis que nous quittions la ruelle, et la présence de Rick derrière moi ne faisait qu'ajouter à ce poids que je traînais depuis si longtemps. Il avait découvert la partie de ma vie que je m'efforçais de garder cachée, cette honte qui me collait à la peau, et maintenant, tout était en train de changer. Je sentais la tension entre nous, comme si cette révélation venait d'élever un nouveau mur, un mur que je n'étais pas prête à affronter.

Je ne disais rien. Le silence entre nous était profond, presque assourdissant, mais il y avait aussi quelque chose d'apaisant dans ce silence, comme si nous comprenions tous les deux que parler maintenant serait inutile. Pourtant, chaque pas que je faisais en direction de la maison semblait me rapprocher d'un précipice, celui où toutes mes résistances finiraient par céder. Rick avait vu ce que je ne voulais montrer à personne, et je ne pouvais pas effacer ce moment.

Quand nous arrivâmes devant la villa, les lumières extérieures éclairaient faiblement la façade imposante. La maison semblait endormie, calme, comme si elle ignorait la tempête qui grondait à l'intérieur de moi. Rick s'arrêta à mes côtés, toujours sans un mot, mais je pouvais sentir son regard posé sur moi, pesant, attendant que je dise quelque chose, que je brise cette barrière que je m'étais imposée.

Je pris une grande inspiration avant de me tourner enfin vers lui. Son visage était dans l'ombre, mais je pouvais discerner les traits de son expression, cette même intensité qu'il avait dans les yeux quand il me regardait. C'était une force qui me poussait à me confier, à céder, mais je ne pouvais pas. Je ne devais pas.

- Merci... d'avoir été là, ce soir, murmurais-je, d'une voix plus faible que je ne l'aurais voulu.

Il resta silencieux un moment, avant de répondre, sa voix basse et grave.

- Elyria, ce que tu traverses... ça ne devrait pas être ton fardeau. Tu ne devrais pas avoir à affronter ça toute seule.

Je fermai les yeux, luttant contre l'émotion qui menaçait de me submerger. C'était exactement le genre de compassion que je ne pouvais pas accepter, le genre d'empathie qui me faisait vaciller sur mes propres principes. J'avais survécu jusqu'ici en me convainquant que je pouvais tout gérer seule, que je n'avais besoin de personne. Mais maintenant, avec Rick qui se tenait devant moi, cette certitude s'effritait.

- Ce sont les dettes de mon père, répondis-je finalement, les yeux baissés. Il est mort en me laissant tout ça... et maintenant, je dois payer. Je ne veux pas que qui que ce soit d'autre s'en mêle.

Je levai brièvement les yeux vers lui, cherchant une réponse dans son regard, mais ce que je vis me troubla. Ce n'était pas seulement de la compassion ou de l'inquiétude. Il y avait quelque chose de plus profond, de plus intense, comme s'il luttait avec des sentiments qu'il ne voulait pas admettre.

- Elyria, ce n'est pas juste, poursuivit-il doucement. Ce que Lori t'a fait... ce que tu vis maintenant, tout ça, ce n'est pas normal. Tu n'es pas seule.

Ses mots me frappèrent en plein cœur. J'avais vécu avec cette solitude depuis si longtemps que j'en avais presque oublié ce que ça faisait de sentir que quelqu'un se souciait vraiment de moi. Et pourtant, c'était justement ça qui me faisait peur.

- Rick, tu ne comprends pas... soufflai-je, ma voix tremblante. Si tu m'aides, ça va tout compliquer. Toi et moi... on ne peut pas. Ta femme, tes enfants...

Il fronça les sourcils, sa mâchoire se serrant légèrement. Il fit un pas vers moi, mais je reculai instinctivement, mettant une distance entre nous. Je ne pouvais pas céder. Pas maintenant.

- Je sais que c'est compliqué, dit-il d'une voix rauque, mais je ne peux pas te laisser te détruire pour ça. Pas après ce que j'ai vu ce soir.

Je détournai le regard, cherchant à échapper à la vérité qui se dessinait devant moi. Rick ne serait pas simplement un spectateur dans ma vie. Il voulait s'impliquer, il voulait m'aider, et c'était précisément ce que je redoutais.

- Tu ne peux pas, Rick, insistai-je, ma voix plus forte cette fois. Je n'ai pas besoin de ton aide. Je m'en sortirai, comme je l'ai toujours fait.

Mais même à cet instant, je savais que c'était un mensonge. J'étais fatiguée, usée par ces luttes incessantes, par ces dettes, par cette bataille intérieure que je menais chaque jour pour ne pas céder à mes sentiments pour lui. Je ne voulais pas admettre que j'avais besoin de quelqu'un. Et surtout pas de lui.

- Tu n'as pas à faire ça seule, Elyria, répéta-t-il, sa voix plus douce, mais ferme.

Je sentais sa présence, si proche, et chaque fibre de mon être me criait de fuir, de ne pas me laisser aller. Mais il était là, et malgré moi, je ne pouvais pas ignorer la chaleur rassurante de sa voix, l'assurance qu'il voulait me donner. Pourtant, la réalité était plus compliquée que ça.

- Tu as ta vie, Rick, dis-je en croisant enfin son regard. Une vie que je ne veux pas compliquer. Je suis juste... une baby-sitter. Rien de plus.

Le silence s'installa, et je crus voir une ombre de frustration passer sur son visage. Il fit un autre pas vers moi, cette fois sans que je ne recule.

- Tu n'es pas "juste" une baby-sitter, Elyria, répondit-il fermement, ses yeux brûlants des mêmes émotions que je tentais de fuir. Tu es bien plus que ça.

Ces mots, si simples et pourtant si puissants, me frappèrent de plein fouet. Je sentis ma gorge se serrer, et avant que je ne puisse répondre, Rick posa doucement une main sur mon bras. Ce geste, bien que léger, me fit l'effet d'un choc. Je sentais tout en moi vaciller, toutes mes résistances tomber une à une.

- Je ne peux pas... balbutiai-je, incapable de continuer.

- Pourquoi pas ? murmura-t-il en se rapprochant encore. Pourquoi pas, Elyria ?

Je restai silencieuse, incapable de trouver une réponse qui aurait du sens. Parce que la vérité était que je ne voulais pas l'admettre. Je ne voulais pas admettre que je ressentais quelque chose pour lui, que cet homme que je devais fuir devenait la seule personne vers qui je voulais courir. Mais c'était dangereux, et je ne pouvais pas m'y résoudre.

Je fermai les yeux, espérant que le silence éloignerait ces pensées, mais au lieu de ça, je sentis sa main glisser de mon bras jusqu'à ma joue. Sa paume chaude contre ma peau glacée me fit frissonner, et je rouvris les yeux, incapable de lui échapper.

Il me fixait avec une intensité qui me coupait le souffle. Ses yeux cherchaient les miens, comme s'il voulait y lire tout ce que je m'efforçais de cacher. Il pencha légèrement la tête, ses lèvres à quelques centimètres des miennes, et pendant un instant, je crus qu'il allait m'embrasser.

Mais il ne le fit pas.

Au lieu de ça, il me regarda encore plus profondément, et dans cet instant suspendu, je sus que tout était sur le point de changer.

- Je ne te laisserai pas tomber, Elyria, murmura-t-il, sa voix un souffle dans la nuit.

Mon cœur battait à tout rompre, et malgré moi, je laissai échapper un soupir tremblant. Mais avant que je ne puisse dire quoi que ce soit, avant que je ne puisse répondre à cette promesse qu'il venait de faire, il recula doucement, me libérant de son contact.

Je restai là, figée, tandis qu'il me lançait un dernier regard, puis tourna les talons et rentra dans la maison, me laissant seule avec mes pensées, mes peurs... et mes sentiments.

BabyOù les histoires vivent. Découvrez maintenant