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Depuis cette conversation dans la cuisine, j'avais fait de mon mieux pour éviter Rick. Chaque fois qu'il tentait de m'approcher, de relancer la discussion, je trouvais un prétexte pour m'éclipser. Que ce soit en me réfugiant dans ma chambre ou en m'occupant des enfants, je n'avais aucune difficulté à me fondre dans le décor. Mais cette distance que je m'efforçais de maintenir entre nous n'était pas sans douleur. Je me battais contre moi-même, contre ce besoin, cette attirance qui ne cessait de croître malgré mes efforts pour la contenir.

Chaque jour devenait une lutte silencieuse, et je pouvais voir la frustration grandir dans les yeux de Rick. Il tentait d'engager des conversations anodines, d'aborder des sujets légers, mais je refusais de lui accorder ne serait-ce qu'un instant de plus que nécessaire. Et pourtant, chaque fois que je quittais une pièce en le laissant derrière moi, mon cœur s'alourdissait un peu plus. Il était difficile d'ignorer quelqu'un qui semblait occuper toutes mes pensées, mais je devais rester forte. Si je me laissais aller, si je franchissais cette ligne, il n'y aurait pas de retour en arrière.

Mais ce soir-là, tout était différent. Ce soir-là, je ne pouvais pas me permettre de penser à lui. Mes préoccupations étaient ailleurs.

Je jetai un coup d'œil à l'horloge, les battements de mon cœur s'accélérant en voyant l'heure défiler. Le rendez-vous approchait, et je ne pouvais pas me permettre d'être en retard. J'avais promis de verser une infime partie des dettes laissées par mon père, et bien que cela ne soit qu'une goutte d'eau dans l'océan, c'était tout ce que je pouvais faire avec mon salaire. Chaque semaine, j'allais dans cette ruelle sombre pour remettre l'argent à ceux qui détenaient une partie de mon destin entre leurs mains. Leur patience n'était pas infinie, et je savais que mes retards pourraient avoir des conséquences.

Je n'avais jamais osé en parler à qui que ce soit, et surtout pas à Rick. Il ne comprendrait pas. Pourquoi est-ce qu'il le ferait, après tout ? Lui, avec ses millions, ses voitures de luxe et sa villa immense, ne pouvait pas imaginer ce que c'était que d'être coincée dans une situation où chaque centime comptait. Où les dettes familiales vous engloutissaient lentement, jour après jour.

Je mis Judith au lit, l'embrassant doucement sur le front avant de la border soigneusement. Carl était déjà endormi, et la maison était plongée dans un silence tranquille, seulement troublé par le bruit lointain des voitures circulant dans les rues d'Atlanta. J'attrapai discrètement mon manteau et glissai dans mes poches les quelques billets qui constituaient une petite partie de mon salaire. Ça ne suffirait jamais à tout effacer, mais c'était un début.

En passant dans le hall, je sentis la présence de Rick avant même de le voir. Il était là, debout près de l'escalier, les bras croisés, m'observant d'un regard perçant.

- Où vas-tu ? demanda-t-il, sa voix grave résonnant dans le silence de la maison.

Je m'immobilisai un instant, refusant de croiser son regard. Je ne pouvais pas lui dire la vérité. Pas à lui.

- J'ai des courses à faire, répondis-je, évitant son regard.

Je pouvais sentir son scepticisme. Il me connaissait trop bien, du moins assez pour savoir que je n'étais pas une excellente menteuse.

- À cette heure-ci ? murmura-t-il, un sourcil légèrement arqué. Il est presque minuit.

Je serrai la poignée de mon sac un peu plus fort, sentant l'urgence me presser.

- Ça ne prendra pas longtemps, dis-je en évitant de le regarder. J'ai juste besoin de... de régler quelques affaires.

Rick me fixa pendant quelques secondes qui semblèrent durer une éternité, mais il ne posa pas d'autres questions. Je le sentis me suivre du regard alors que je sortais de la maison, son silence plus lourd que n'importe quelle confrontation.

Le trajet jusqu'à la ruelle fut court, mais chaque pas que je faisais semblait me plonger dans une angoisse croissante. Cette ruelle n'avait rien de rassurant, surtout la nuit. Les lampadaires clignotaient faiblement, projetant des ombres sinistres sur les murs de briques. C'était un endroit où personne ne voulait traîner, mais je n'avais pas le choix. Mes pas résonnaient faiblement sur l'asphalte craquelé, et je gardais mes mains dans mes poches, serrant les billets avec nervosité.

Arrivée au fond de la ruelle, je vis deux silhouettes se détacher de l'obscurité. Ils étaient là, comme à chaque fois, leurs visages cachés dans les ombres, vêtus de blousons noirs. L'un d'eux, un homme imposant aux épaules larges, s'avança vers moi sans un mot. Je savais que je n'étais qu'un petit pion dans cette situation, mais je me sentais toujours minuscule face à eux.

- T'as l'argent ? grogna-t-il d'une voix rauque.

Je hochai la tête, sortant les billets de ma poche et les lui tendant. Mes mains tremblaient légèrement, mais je fis de mon mieux pour rester calme. L'homme attrapa l'argent sans un mot, le comptant rapidement avant de hocher la tête à son tour.

- C'est pas suffisant, murmura-t-il en levant les yeux vers moi. Tu le sais, non ?

Je savais. Mais je n'avais pas le choix.

- Je ferai de mon mieux pour en donner plus la prochaine fois, promis-je d'une voix incertaine.

Il ricana, un son qui résonna dans la ruelle vide, puis se tourna vers son complice, lui adressant un signe de tête avant de s'éloigner. Je restai là un moment, sentant mon cœur reprendre un rythme plus régulier maintenant que la transaction était terminée. Mais ce sentiment de soulagement fut de courte durée.

Je sentis une présence, cette fois derrière moi. Un frisson glacé me parcourut l'échine, et je me retournai brusquement.

Rick.

Il se tenait là, à l'entrée de la ruelle, me regardant fixement. Sa silhouette se découpait dans la lumière faible des lampadaires, et son expression était indéchiffrable. Je sentis mon estomac se nouer en le voyant là. Il m'avait suivie. Il avait tout vu.

- Qu'est-ce que tu fais ici ? chuchotai-je, plus en colère contre moi-même que contre lui.

Il avança lentement, s'arrêtant à quelques pas de moi. Son regard scrutait la ruelle, les hommes qui venaient de disparaître dans l'obscurité, puis il revint vers moi, ses yeux pleins de questions.

- Elyria, qu'est-ce que c'était ? demanda-t-il, sa voix plus douce que je ne l'aurais imaginée.

Je ne pouvais plus mentir. Pas après ça.

- C'est... c'est compliqué, soufflai-je, en évitant de croiser son regard.

- J'ai vu. Ces types, l'argent. C'est pour ça que tu fais tout ça, n'est-ce pas ? Pour ces dettes ?

Je baissai la tête, incapable de répondre. L'humiliation me submergeait. Rick, cet homme que j'avais tenté d'éviter à tout prix, venait de découvrir mon secret le plus honteux. Ma misère, ma réalité.

Il s'approcha encore, et cette fois, il posa doucement une main sur mon bras. Son contact était à la fois réconfortant et terrifiant.

- Pourquoi tu ne m'as rien dit ? murmura-t-il.

- Parce que... tu n'aurais pas compris, répondis-je, ma voix brisée.

Son regard se durcit, mais pas de colère. Plutôt de détermination.

- Laisse-moi t'aider, Elyria.

Je secouai la tête, reculant d'un pas. C'était hors de question. Je ne pouvais pas lui permettre de se mêler de ça.

- Non, Rick, c'est mon problème. Pas le tien.

Il resta silencieux un moment, me regardant avec une intensité qui me déstabilisait.

- Quoi qu'il en soit, maintenant, je sais. Et je ne vais pas te laisser affronter ça seule.

Je savais qu'à partir de ce moment, plus rien ne serait pareil.

BabyOù les histoires vivent. Découvrez maintenant