1. Révélation et Économies monde

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Je n'aurais jamais dû faire ça.

Je savais que ce n'était pas le bon moment, que ça n'allait pas marcher, et que j'allais me prendre le plus gros vent de toute l'histoire de la météorologie amoureuse.

Et pourtant, dans un élan de stupidité, j'ai ignoré mon cerveau qui me criait de me taire et j'ai dit :

« J'ai des sentiments pour toi. »

Cette phrase-là, je l'ai déjà prononcée des milliers de fois. En rêve.

Après ça, Corentin est censé me prendre dans ses bras et m'embrasser avec l'Hymne à l'amour en fond musical.

Oui, je sais, c'est idiot, niais, et dégoulinant de romantisme comme dans les films d'Hollywood, mais il y a une part de moi qui espère que ça se produise.

Malheureusement, ce n'est pas le cas.

Nous sommes assis l'un à côté de l'autre, au dernier rang de la salle d'histoire, et le brouhaha général rend notre silence d'autant plus cuisant.

Corentin penche la tête. Il n'a pas l'air de savoir où regarder.

Il passe une main dans ses cheveux, et demande :

« Des sentiments amicaux ? »

Quel abruti. Est ce que je rougirais autant si c'était des sentiments amicaux ?

« Euh... non... amoureux.

— Ah. »

J'attends. Rien. Aucune réaction.

« Ah », répète Corentin.

Dis quelque chose, par pitié, ai-je envie de hurler. Un « moi aussi », un « moi pas », n'importe quoi, pourvu que j'ai l'air un peu moins idiote !

Il s'éclaircit la gorge, et une once d'espoir naît dans ma poitrine. J'imagine encore qu'il va m'annoncer qu'il m'aime.

« Hum, ça me touche, mais... Je... Enfin, on n'irait pas ensemble, euh... Déjà, tu es plus grande que moi... »

Merci, Corentin, pour cette brillante observation.

« On est amis... Ce serait dommage de gâcher ça... Enfin, je veux dire... Tu es comme ma petite sœur, je t'aime beaucoup, sauf que je ne ressens pas... Je suis désolé... »

Je n'écoute pas les paroles suivantes, beaucoup trop concentrée sur le mot sœur. Être catégorisée « amie », c'est affreux, mais « sœur », c'est encore pire.

Sur cette comparaison fort habile, Corentin se tait.

Nous regardons notre professeure d'histoire se débattre avec l'ordinateur. Malaise. Ni lui ni moi ne savons comment relancer la discussion. Je veux revenir en arrière. Juste avant que je n'ai cette idée stupide de lui dire que je l'aime.

Je ne peux pas.

J'ai l'impression que quelque chose se casse à l'intérieur de moi.

Cela fait dix ans que je suis amoureuse de Corentin, depuis la primaire jusqu'au lycée. C'est fini, maintenant.

Il n'y a plus rien à espérer.

Je tourne machinalement la tête vers Madame Brugel, qui s'est enfin souvenue de l'existence de PowerPoint.

Ce doit être le signal. Corentin rassemble ses affaires, joue avec les branches de ses lunettes, et annonce :

« Je ne vois pas bien au tableau. Je vais... Je vais aller au premier rang, si ça ne te dérange pas. »

La Théorie de l'Ennui (REPUBLICATION)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant