33. Soirée, catalyse et klaxon

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« Suzorine, je te trouve aigrie, ces temps-ci. »

Ma mère relève la tête vers moi, avec un air de conseillère d'orientation shootée aux tranquillisants.

Elle tient un bouquin de psycho. Un truc à la con intitulé « Comment élever mon ado » et dont la couverture représente un mec en sweat à capuche, qui ressemble plus à une caricature de Florian qu'à Florian lui-même. Florian est... mieux.

« Je ne suis pas aigrie.

— Tu es sûre ?

— Sûre.

— Tu présentes les symptômes d'un comportement déviant. »

Ah bon. Première nouvelle.

« Tu sais, Suzorine, reprend ma mère, d'un ton étrangement calme. Pris entre le désir de trouver sa force dans la sphère familiale et de rejeter les autres pour prendre son indépendance, l'adolescent se replie sur soi-même. Il a un comportement arrogant et provocateur pour s'affirmer, se démarquer, voire appeler à l'aide. Est-ce que tu m'appelles à l'aide, Suzorine ?

— Non, je ne t'appelle pas à l'aide, Maman.

— Ah. »

Quelque peu déçue de ne pas pouvoir appliquer les conseils de docteur-Sandrine-sociologue-experte-en-adolescence, elle réarrange sa coiffure, et s'enfonce un peu plus dans son fauteuil.

Je trouve qu'il y a un moment propice pour demander une autorisation.

Il faut choisir le parent, de préférence celui qui est disponible et de bonne humeur, et l'aborder avec un solide paquet d'arguments.

Là, c'est le moment.

Docteur Sandrine a propulsé Maman dans l'obsession temporaire d'être à l'écoute de son ado perturbée.

Alors je vais m'en servir.

Je me pare de mon plus beau sourire, et roucoule :

« Maman ? »

Elle relève la tête, l'air interrogateur.

Ma mère a beau se faire avoir par des bouquins de psycho, le jour où je réussirai à l'arnaquer facilement n'est pas encore arrivé.

« Toi, tu as quelque chose à me demander. »

Dilemme.

Déni ou franchise ?

« Non, non, pas du tout.

— D'accord. »

Et elle reprend sa lecture.

Merde.

J'aurais dû choisir la franchise.

« Bon, en fait si. »

Irritée, elle retire ses lunettes, et soupire :

« Suzorine, je déteste quand tu fais ça. Assume un peu, tu veux quelque chose, oui ou non ?

— Attention Maman, tu te comportes comme une personne aigrie. »

Pas l'ombre d'un sourire.

Entendu. Je remballe la carte de l'humour.

« Ok. Oui. Euh, je voudrais savoir...

— Quoi ?

— Est-ce que je pourrais aller à la soirée de Thibaut ? »

Ma mère hausse le menton, silencieuse. Et puis, avec une lenteur extrême, elle répète :

La Théorie de l'Ennui (REPUBLICATION)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant