4. Sens de l'orientation ou pourquoi je ne me promène jamais seule

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« Vous êtes arrivés à destination : Saint-Le-Feuil : Place. Merci d'avoir choisi la compagnie Les chemins du Nord pour votre voyage, et à bientôt dans un nouveau car, pour une nouvelle expédition au cœur du territoire français. Passez une très belle journée. »

Mon sac à dos sur l'épaule, je passe devant le chauffeur à moitié endormi et descends du bus.

Lorsque ma basket touche le sol, ma première pensée est : Saint-Le-Feuil n'a rien à voir avec les photos d'internet.

Saint-Le-Feuil est pire.

Brume épaisse, bâtiments sans vie, absence totale de circulation et un gros chien noir, affalé au coin d'une boutique silencieuse, qui me regarde de ses yeux méchants de... chien.

D'accord.

C'était une mauvaise idée.

Il faut que je reparte, tout de suite.

Je me retourne, prête à dire au chauffeur que je me suis trompée d'arrêt, mais le bus démarre, me laissant seule sur la place de Saint-Le-Feuil.

Je hais Les chemins du Nord.

Prenant mon courage à deux mains, je tire mon portable de ma poche, et retrouve la capture d'écran de la carte de Saint-Le-Feuil. Ce ne devrait pas être très compliqué. Il me suffit de suivre la carte. Je me débrouillerai.

J'inspire une grande bouffée d'air et me mets en route, en prenant bien soin de contourner le chien.

Je suis la carte avec d'infinies précautions. Je sais qu'à la moindre inattention, je peux me perdre. Le sens de l'orientation ne fait malheureusement pas partie de mes qualités.

Aussi, quand j'arrive devant chez Elena, un profond sentiment de fierté s'empare de moi. J'ai réussi. Je n'aurais jamais cru que ce serait aussi rapide.

Je jette un coup d'œil à la maison de ma rivale. Une maison banale, en somme. Belle. D'une beauté en tout point semblable à celle de ses voisines. Avec une jolie boîte aux lettres, recouverte d'une fine pellicule de peinture blanche. Je ne résiste pas à l'envie de l'écailler.

Je sors de mon sac l'enveloppe en papier kraft, qui renferme chacune des photos prises par Corentin. Au dos, j'ai noté son adresse. Je glisse l'enveloppe dans la boîte aux lettres, avant de contempler mon œuvre.

Ha.

Grâce à moi, Elena saura enfin qu'un dangereux cinglé l'espionne. Elle lui demandera des explications, lui hurlera qu'il n'est qu'un... cinglé. Et si j'ai de la chance, elle le traînera aux tribunaux pour atteinte au droit à l'image.

La vision de Corentin sur le banc de l'accusé me fait sourire. Il l'aura cherché. Ce cinglé.

Une vibration me ramène à la réalité et je pose un regard inquiet sur mon portable.

Il s'est éteint, le con.

Un élan de panique me submerge.

Non, non, non, pas ça.

J'appuie frénétiquement sur le bouton de démarrage.

Rien.

Il s'est éteint, le con.

Envolée, la carte de Saint-Le-Feuil.

Envolée, la possibilité de contacter quelqu'un.

Je plaque une main sur mon front, tentant de ne pas paniquer. J'ai su venir, je saurai repartir. Il suffit... Il suffit de refaire le trajet en sens inverse.

La Théorie de l'Ennui (REPUBLICATION)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant