20. Mathis et son shopping

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De tous les sentiments, c'est la honte que je déteste le plus.

Pas la peur, pas la colère. La honte.

La honte qui fait rougir, qui paralyse, qui s'installe dans la tête et qui donne envie de se terrer quelque part, très loin.

Manque de chance, j'ai honte en permanence.

J'ai honte de mon prénom, j'ai honte de mon physique, j'ai honte de ce que je dis, j'ai honte de ce que je fais, j'ai honte de ce que je suis.

J'envie les personnes pleines d'assurance. Les Megan, les Thibaut, les Mathis. Les autres que moi.

Parce qu'en ce premier jour de l'an, allongée sur mon lit et les yeux rivés sur le plafond, j'ai honte.

Je pense à ces ébauches de messages adressées à Florian et à Corentin, et qu'un éclair de lucidité m'a empêchée d'envoyer.

Je pense à Elena.

Je pense à l'auteur du journal, dont le mois de janvier est aussi insupportable que le mien. Sauf que moi, je n'en veux ni à ma mère, ni à ma belle-mère. J'en m'en veux à moi même. Et c'est pire.

J'ai envie de dormir, mais je ne suis pas fatiguée.

Je n'ai fait que ça, chez mes grands-parents.

Dormir.

Et me traîner du canapé à ma chambre.

Comme une grosse larve.

Je suis tellement déprimée que je n'ai même pas réagi lorsque mes parents ont reçu mon bulletin. Ma moyenne de sciences physiques ne les a pas enchantés, et mon père a rappelé que « Le travail, c'est la santé ». Ce à quoi j'ai répondu « Rien faire c'est la conserver ». Malheureusement pour moi, ma petite référence à Henri Salvador n'a pas réussi à l'apaiser, et mon père a prononcé tout un discours sur l'importance du labeur, de la persévérance... et de l'épanouissement.

Parce que depuis ma rentrée en Terminale, « on ne te reconnaît plus, Suzorine. »

Résultat ? Je suis sommée d'agir. Je dois avoir de meilleures notes et par la même occasion, me trouver une orientation post-bac.

Sauf qu'au lieu de ça, j'attends.

Et j'ai honte.

J'ai cru que rentrer chez moi me permettrait de retrouver un peu d'énergie, grave erreur.

Je me sens encore plus léthargique qu'avant.

J'ai été ridicule...

Le ridicule ne tue pas, mais il blesse méchamment.

Sonnette.

J'entends les pas précipités de ma sœur, qui se rue vers la porte d'entrée. Du Jeanne tout craché. Dès que quelqu'un frappe à la porte, elle trouve d'une importance capitale d'ouvrir elle-même.

« Suzorine, c'est pour toi ! », braille-t-elle.

Je me redresse, inquiète.

Il n'y a que trois personnes qui viennent régulièrement ici. Mathis, Lou, et Corentin.

Pourvu que ce ne soit pas Corentin.

Pitié.

Pas lui.

Pas Corentin...

Je noue rapidement mes cheveux en une queue de cheval, retire mon vieux pull pour en enfiler un autre, file à la salle de bain, asperge mon visage d'eau, me parfume un peu et arrange quelques mèches rousses avant de descendre.

La Théorie de l'Ennui (REPUBLICATION)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant