32. Des feux rouges et d'être tout seul

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La place fourmille de monde.

Les étudiants courent pour attraper leurs bus, les conducteurs klaxonnent à cause des embouteillages, les magasins affichent des promotions sur les derniers vêtements d'hiver, les lampadaires aveuglent les passants, la rue a une odeur de sueur et de carburant et Florian marche.

Il se tient à l'écart de l'agitation. Les mains dans les poches. Les cheveux dissimulés par sa capuche.

Je le regarde un instant et sans réfléchir, je le suis.

D'accord.

C'est stupide.

Je devrais aller le voir et lui demander tout simplement des explications.

Oh et puis non. Mauvaise idée. Je vois d'ici le désastre. Moi qui rougis, qui bégaie, qui m'embrouille, et lui qui reste stoïque, et qui me laisse m'enfoncer dans mon ridicule.

Bon.

Il y a un moyen pour que cette scène ne se produise pas.

Réfléchir à l'avance. Ce qui ne fait clairement pas partie de mes habitudes.

Tout en m'efforçant de garder une distance de sécurité entre Florian et moi, je songe à une phrase d'accroche.

Oh tiens, t'es encore vivant, finalement ? Non. Trop sarcastique. Ça, c'est du Lou.

On peut savoir pourquoi tu m'as remballée par message ? Non plus. Trop direct. Ça, c'est du Megan.

Hé Florian, ça va mamène ? Ça fait un bail qu'on t'a pas vu et... Non, non, certainement pas. Trop... Trop décontracté. Ça, c'est du Mathis.

Alors quoi ?

Qu'est ce qui serait à la fois sarcastique, parce que j'ai le droit d'être en colère, direct, parce que je veux savoir, et décontracté, parce qu'il ne faut pas le faire fuir ?

Je soupire, déprimée.

Qu'est-ce que je fous là... Je devrais être au théâtre. Ou chez moi. De toute façon, il faut que je travaille. Ma moyenne en physique est catastrophique, celle de maths pas terrible et celle de philosophie... disons... aléatoire.

J'ai décidé de me remettre sérieusement au travail.

La perspective de passer mes soirées avec les lois de Newton, la fonction exponentielle et la lithosphère océanique ne m'enchante pas, mais je n'ai pas le choix. Pour être heureuse, je dois avoir un métier qui me plaît, pour avoir un métier qui me plaît, je dois avoir des diplômes, pour avoir des diplômes, je dois avoir des bonnes notes à l'école et pour avoir des bonnes notes à l'école, je dois travailler.

Rien qu'à y penser, ça me donne la nausée.

Heureusement que j'ai la liste avec moi. Sans elle, j'en serai encore à baver devant Corentin et à pleurer dans ma chambre parce qu'il ne m'aime pas. Peut-être que, quand je serai grande, je pourrais faire exclusivement ce qu'il y a sur ma liste. Quoique. Comme dirait mon philosophe de père, « on ne fait pas toujours ce qu'on veut, dans la vie ».

C'est dommage. Si je pouvais faire ce que je veux, là maintenant, je...

Je ne sais même pas, en fait.

Et j'en étais là de mes réflexions lorsque j'oublie ma distance de sécurité, que Florian s'arrête à un feu rouge, que je ne repère pas ledit arrêt et que je le bouscule involontairement.

Voilà.

Je commençais à trouver ça bizarre qu'il n'y ait pas de catastrophes.

La suite de l'événement semble se dérouler au ralenti.

La Théorie de l'Ennui (REPUBLICATION)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant