Assise sur un banc dans la cour du lycée, je fixe mes ongles.
Pas qu'ils soient franchement intéressants, mais je suis stressée, et me concentrer sur mes ongles, ça m'empêche de stresser.
Enfin, ça m'empêche de trop stresser.
C'est moi. Tout le monde est persuadé que c'est moi.
Le message du numéro inconnu, qui disait à Corentin qu'Elena le trompait... C'est moi, même Lou croit que c'est moi. Elle prétend le contraire mais je la connais.
Je ne peux pas lui en vouloir, je suis la coupable parfaite. Elle sait que je ne sors pas réellement avec Florian, que j'ai du mal à oublier Corentin et que j'ai mal réagi lorsqu'Elena et lui se sont mis en couple.
Sauf que je n'y suis pour rien, et que personne ne me croit. Enfin, si. Il y a quelqu'un qui pourrait me croire : Florian. Mais Florian n'était pas là aujourd'hui et il n'était pas là hier. Je lui ai envoyé un message. Un petit message débile, qui demandait s'il était malade. Il ne m'a pas répondu. En temps normal, je me serai dit « C'est normal, c'est Florian », pourtant, son silence ajouté à la rencontre organisée par Corentin, c'est trop.
J'ai peur.
Corentin va arriver d'une minute à l'autre.
Mes jambes ne veulent pas bouger mais ma tête me hurle de partir.
« Suzie ? »
Je sursaute.
Corentin esquisse un petit sourire contrit, et s'assoit à côté de moi.
Silence. Je recommence à fixer mes ongles.
« Je... Enfin, par rapport à hier...
— Oui. Lou m'a raconté. »
Il acquiesce, retire ses lunettes, les essuie, les repose sur son nez, et poursuit :
« Je voulais juste...
— Oui ?
— Pour le message...
— Oui ?
— C'était toi ? »
Voilà. Je le savais.
Au fond, je ne devrais même pas être déçue. C'était prévisible.
« Non, ce n'était pas moi. »
Il tourne la tête pour me regarder.
Les yeux de Corentin ne sont pas exceptionnels. Ils sont marron. Marron simple.
Ceux de Florian sont marron aussi, mais marron noisette. Pour Jeanne, c'est marron chocolat. Et pour Mathis, marron sépia.
Mais Corentin... Marron. Marron simple.
Ça me perturbe, parce que je crois que si on m'avait demandé de quelle couleur étaient les yeux de Corentin il y a un mois, j'aurais répondu une nuance exacte, avec des comparaisons, des précisions, des reflets.
Ça me perturbe parce que ces comparaisons et ces précisions et ces reflets, je ne m'en souviens plus.
« Alors tu sais qui c'est ?
— Non. »
Il soupire, l'air embêté.
« Enfin, Suzie... Je ne vois pas qui d'autre ça pourrait être...
— Tu penses que je te mens. Tu penses que c'est moi, c'est ça ?
— Eh bien...
— Tu penses que c'est moi ?, j'insiste.
— Oui. »
Je ne peux pas lui en vouloir, je ne peux pas lui en vouloir, je ne peux pas lui en vouloir. Je suis la coupable parfaite, je suis la coupable parfaite, je suis la coupable parfaite.
Pourtant, j'ai beau me répéter ça, j'ai toujours envie de pleurer.
« Est-ce que tu te rends compte à quel point tu me blesses ? »
Je relève la tête, surprise par les paroles que je viens de prononcer.
J'ai pensé à voix haute et, pour la première fois depuis une longue période, je ne regrette pas mes mots. Ça fait du bien, d'arrêter de se cacher. D'arrêter de mentir.
« Euh... Je...
— Tu ne voulais pas ? Tu l'as fait quand même. Mais bon, je commence à être habituée, tu ne fais que ça, me blesser. Ça doit être, hum, laisse-moi compter... »
Je déplie théâtralement les doigts, et reprend :
« Ah non, en fait, je n'arrive pas à compter. Ce que je sais, c'est qu'il y avait quelques jours que tu ne m'avais pas blessée, quelques jours que j'avais une vie qui me plaisait et que paf, tu as recommencé. Pourquoi est-ce que tu recommences tout le temps ? »
Il ne dit rien. Je continue.
« Oh, bien sûr, ce n'est pas volontaire. Tu ne t'en aperçois peut-être pas. Mais dès que tu parles à une autre fille, que tu me rappelles qu'il n'y aura rien entre nous d'une quelconque manière, c'est blessant. Au fond, je savais qu'on ne sortirait pas ensemble, sauf que quand tu m'as dit que tu n'étais pas amoureux de moi, c'était blessant. Quand tu t'es mis avec Elena, c'était blessant. Ça, encore, je ne peux pas te le reprocher. Ce n'est pas de ta faute si tu ne m'aimes pas, et j'aurais dû le comprendre plus vite.
En revanche, je t'en veux parce que tu continues. Quand tu l'as amenée au fast-food, c'était blessant. Quand tu m'accuses de vouloir casser ton couple, c'est blessant ! Pourquoi ? Tu penses que je ne suis pas passée à autre chose ? Tu penses que je veux briser ton bonheur ? »
Je le fixe, tremblante, attendant désespérément une réponse. Elle ne vient pas.
« Eh bien non, Corentin. Je n'en ai plus rien à faire de toi. Tu comprends, ça ? Je ne suis plus amoureuse de toi. C'est fini, j'ai tourné la page. C'était difficile et c'était long mais j'ai tourné la page. Ta relation avec Elena, je n'en ai plus rien à foutre. Je ne pouvais pas en dire autant d'il y a quelques semaines, mais aujourd'hui, voilà : je n'en ai plus rien à foutre. Tu es heureux, tant mieux, reste le, et laisse-moi tranquille. Laisse-moi tranquille parce que j'étais bien, sans toi, laisse-moi tranquille parce que j'avais retrouvé une sorte de vie normale et parce que putain, pour une fois, ce n'est pas moi ! »
Je me suis levée. Je ne l'avais même pas remarqué.
« Pour une fois », répète-t-il, d'une voix blanche.
C'est à ce moment-là que je prends conscience que je suis allée trop loin.
« Pour une fois, hein, Suzorine ? »
Je me force à le regarder, pour éviter de fuir.
Peut-être qu'au fond, ça aussi, je le savais. Que tôt ou tard, j'allais devoir assumer les conséquences de mes actes.
Alors, je prends une grande inspiration, et j'assume.
« Oui. Pour une fois. »
Une seconde s'écoule. Une seconde qui semble durer une éternité.
Corentin acquiesce. Livide.
Il ramasse son sac, le jette sur son épaule et s'éloigne.
Il ne se retourne pas.
Je ne suis plus amoureuse de toi.
Je crois que c'était la vérité.
---
Heyy !
C'est la fin du chapitre 28 de la Théorie de l'Ennui, j'espère que vous l'aurez apprécié !
Décidément, cette petite conversation avec Corentin ne laisse rien présager de bon pour Suzie...
A bientôt pour la suite !
Bisouuus ♥
VOUS LISEZ
La Théorie de l'Ennui (REPUBLICATION)
TienerfictieSe faire rejeter juste avant un cours sur les économies monde est assez loin de ma définition du bonheur. Voire très loin. Je n'aurais donc jamais pu imaginer que ça me permette d'imaginer la théorie la plus brève, la plus évidente, et la plus far...