Ma professeure d'histoire, Madame Brugel, fait partie de ces enseignants que personne ne respecte.
Rangée dans la catégorie des antiquités du lycée, elle tente de nous intéresser aux espaces maritimes, à grands renforts de discours monocordes ponctués de « Euh » et de « Aehm ».
Madame Brugel a des petites lunettes, un visage rond, une écharpe qui l'étouffe et des cheveux noirs qui lui donnent un air de cadavre.
D'ailleurs, je me demande parfois si elle n'est pas morte à l'intérieur.
Je disais donc : aucun élève n'écoute Madame Brugel. Moi comprise.
C'est seulement après que Corentin ait déserté notre place habituelle, à cause de ma déclaration ratée, et que Florian se soit absenté, à cause de sa mère, que j'ai commencé à m'intéresser à ce qu'elle raconte.
Et effectivement, ses cours sont assommants. Si assommants que je crois qu'elle s'assomme elle-même.
A mon avis, Madame Brugel voulait être autre chose que professeure d'histoire dans un lycée pourri du fin fond du nord de la France et elle n'a pas réussi.
C'est certainement pour cela que Madame Brugel représente ce que je ne veux pas être.
J'allais d'ailleurs m'apprêter à la contempler encore une fois dans toute la beauté de son inactivité, lorsque Lou s'installe à côté de moi.
« Florian n'est pas là ?
— Euh... non. Non. Il ne revient en cours que demain.
— Il est malade ?
— Non. Problèmes familiaux.
— Ah. »
Lou sort ses cahiers, je sors les miens, et on attend.
J'essaie de ne pas trop la fixer. C'est difficile. Lou m'adresse le moins possible la parole depuis le Pour une fois, et c'est assez rare qu'elle fasse le premier pas en matière de réconciliation.
C'est toujours moi qui reviens vers elle. Pas parce que j'ai plus besoin de Lou qu'elle n'a besoin de moi, mais parce qu'elle a beaucoup de mal à s'excuser. Ou à faire table rase. Elle considère que c'est un aveu de faiblesse.
Au fond c'est peut-être ça, le plus gros défaut de Lou : une fierté démesurée.
« Corentin m'a passé ses cours d'allemand. Je te les donnerai. Tu transmettras à Florian ce qu'il a raté. »
Elle a débité ça les lèvres pincées, comme si elle faisait un gros effort pour me parler.
« D'accord. Oui. Merci. »
Un ange passe.
Madame Brugel annonce que les espaces maritimes contribuent à la croissance des échanges transnationaux.
« Écoute, Suzie, je... Je suis désolée. Ce que t'as fait à Coco c'était nul, mais t'éviter à cause de ça, c'était nul aussi. Bref. »
Entendre Lou dire « je suis désolée » c'est presque aussi rare que de voir Florian dépasser les deux phrases.
Lou ajuste son énorme pull en laine, joue avec ses bracelets, et guette ma réponse.
« C'est pas grave, Lou. J'ai été conne aussi, je méritais qu'on me remette un peu à ma place. T'inquiète. On oublie. »
Elle acquiesce, et s'éclaircit la gorge, avant de reprendre :
« Oui... Et euh... Sinon, tu viens à la soirée de Thibaut ? »
VOUS LISEZ
La Théorie de l'Ennui (REPUBLICATION)
Teen FictionSe faire rejeter juste avant un cours sur les économies monde est assez loin de ma définition du bonheur. Voire très loin. Je n'aurais donc jamais pu imaginer que ça me permette d'imaginer la théorie la plus brève, la plus évidente, et la plus far...