La Théorie de l'Ennui (REPUBLICATION)

31. Les grands moyens

« Well, see you next week... »

La voix fatiguée de ma professeure, couverte par la sonnerie, me ramène à la réalité.

J'enfile mon manteau et mes yeux s'égarent sur la chaise du fond de la classe.

Vide.

Excédée, j'attrape mon sac et quitte la salle de cours. Il faut que j'arrête d'y penser. De toute façon, que Florian soit là ou pas, c'est la même chose : il ne parle pas. Et puis, je dois le laisser tranquille. C'est ce qu'il a dit.

Comme d'habitude, Estelle m'attend dans le couloir.

Et comme d'habitude, Mathis bouscule la moitié des élèves pour venir la voir.

« Estelle, ça va ?

— Très bien, merci, et toi ?

— Super, et, je voulais te demander, ça tient toujours pour samedi ?

— Samedi, j'interviens, suspicieuse.

— Mathis a découvert quelque chose d'incroyable à propos d'Héraclite, m'explique Estelle, les yeux pétillants d'excitation. Il croit avoir percé le secret de sa mort ! Parce que tu sais, certains pensent qu'il était ermite et qu'il est tombé malade, d'autres qu'il est mort plus vieux, et devine ce qui est arrivé ! Mathis s'est rendu chez son oncle qui est bibliothécaire et il a trouvé l'œuvre secrète d'un historien russe du dix-huitième siècle qui a fait des fouilles archéologiques et qui a déchiffré la tablette vieille de milliers d'années d'un scribe grec et qui relate au détail près les circonstances du décès, alors je vais chez lui samedi pour qu'on puisse lire le travail de l'historien ensemble ! »

Et Estelle conclut sa tirade par un grand sourire.

« Wow. Merveilleux. »

Elle s'apprête à reprendre la parole, heureusement, l'arrivée de Thibaut la coupe dans son élan.

Pendant qu'elle répète au nouveau venu que-c'est-génial-le-mystère-de-la-mort-d'Héraclite-sera-bientôt-levé, je glisse à Mathis :

« On est d'accord, ton oncle n'est pas bibliothécaire et tu ne connais aucun historien russe ?

— Euh... ouais. »

Évidemment.

« Mais t'inquiète, hein, Suzie, je gère ! Tu vas voir, samedi je la pécho. Elle m'aime trop, elle va complètement oublier Héraclite.

— Bien sûr, et tu... »

La fin de ma phrase meurt sur mes lèvres.

Lou nous dépasse, tête baissée, écouteurs enfoncés dans les oreilles.

Cette vision me serre le cœur. Ma meilleure amie me manque. Mon meilleur ami me manque.

Florian me manque.

« Elle est encore fâchée... »

Mathis ne répond pas.

« C'est à cause du Pour une fois, hein ? »

Il fuit mon regard.

« Mathis !

— Oh, regarde, un albatros !

— Mathis, arrête de changer de sujet ! C'est à cause du Pour une fois, oui ou non ?