5- les jardins de la tension

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Léopold n'avait pas pu dormir à cause de cette phrase qui se répétait indéfiniment dans sa tête. Le conte des héros, le conte des héros, le conte des héros... Il n'arrivait pas à savoir ce que cela était, et cela le mit dans une rage folle toute la nuit, si bien que quand vint le jour, il ne s'était pas encore reposé une seule seconde. Il se disait « je suis sur que la réponse se trouve dans la bibliothèque... Mais comment y aller ? Je ne sais pas où elle est. Peut-être qu'Alda pourra m'aider. Et ce Malvor qui tarde à venir me voir... » Il rumina cette pensée toute la matinée : pendant qu'il mangeait son petit-déjeuner, pendant qu'il se lavait, pendant qu'il faisait son lit... Il fallut attendre qu'un garde entre dans la pièce pour qu'il sorte de ses pensées.

« Monsieur Léopold. Je viens de la part de la reine qui vous dit qu'elle adorerait que vous diniez avec elle ce soir, dans le jardin du palais. Un garde vous amènera à elle quand le soleil se couchera. »

Il referma la porte sans que Léopold ne puisse dire quoi que ce soit. Il fut d'abord très heureux : il allait enfin pouvoir sortir de cette cage ! Il pourrait voir un peu plus le monde qu'il imaginait depuis longtemps, même si ce n'est que le temps d'un repas. Il faillit sauter de joie mais une question le retint d'un coup : Pourquoi cette sortie subite ? Alda avait-elle quelque chose derrière la tête ? Ce doute le hanta tout la journée durant. Il cherchait sans cesse la réponse à ces questions et à chaque fois qu'il imaginait un scénario différent, celui-ci était plus lugubre et morbide que le précédent. Mais qu'avait-elle derrière la tête ? Il ne vit pas le temps passer, si bien que quand un garde vint le chercher, il fut très surpris. Il se leva du lit, marcha vers la porte, et passa le porche. Il arriva devant un escalier qu'il avait déjà entraperçu quand la porte s'ouvrait sur un garde qui lui amenait le repas. Mais il était à présent libre, libéré de cette endroit pour un court moment qu'il était déterminé à savourer. Le garde s'engagea dans l'escalier, et ordonna à Léopold de le suivre. Un garde qui gardait l'entrée les suivit, encerclant ainsi le jeune homme. Ils descendirent le grand escalier qui parut interminable à Léo. Il arrêta de compter les marches à la centième. Ils arrivèrent enfin au bout et arrivèrent dans un couloir aussi froidement décoré que l'escalier : Des murs de pierres brutes était éclairés par des torches qui diffusaient une lumière inégale et incertaine. Ce couloir était aussi interminable que l'escalier. Le bout de celui-ci semblait aussi loin que l'horizon. Ils marchèrent longtemps, très longtemps. Quand enfin Léopold vit un mur se dresser devant eux, ils remontèrent un autre escalier bien plus large et éclairé. Il vit alors un grand hall décoré exclusivement d'or et d'argent. Les deux lustres accrochés au plafond contenaient au moins cent bougies chacun et le grand tapis brodé au centre de la vaste pièce représentait dans des tons ocres une scène de guerre. Léopold trouva cette pièce trop décorée, et s'étouffa devant tant de richesse. Il sut à partir de ce moment qu'il préférait la simplicité de sa minuscule prison. Ils sortirent du château pour arriver dans un immense jardin qui s'étendait sur des kilomètres, si bien que Léopold ne pouvait voir la lisière de celui-ci. Mais il était surtout très heureux. Heureux de pouvoir enfin sentir sur son visage la brise chaude d'une soirée d'été, heureux de pouvoir admirer un ciel bleu, heureux de pouvoir humer l'odeur divine des milliers de fleurs colorées qui s'épanouissaient dans ce magnifique jardin, heureux de se sentir plus libre. Le soleil couchant dégageait une lumière rasante qui étirait les ombres et rendait le jardin encore plus féerique. Il marcha dans l'herbe verte et se mit à admirer un buisson taillé dans une forme de lapin. Puis il s'éloigna un peu plus et s'approcha d'une rocaille où des fleurs d'un bleu roi dégageaient une délicieuse odeur de muguet. Il s'apprêtait à se déplacer vers un arbuste qui regorgeait de fleurs d'un orange exquis quand un des gardes lui beugla qu'il devait aller diner avec la sœur de monsieur et qu'il devait cesser de s'abandonner à des pratiques dignes de fous. Il ne comprit pas pourquoi il disait cela mais il préféra ne pas questionner le colosse qui le surveillait, car il avait collé à sa cuisse une grosse épée. Il s'avança alors vers les gardes, qui contournèrent la demeure afin d'arriver dans une partie du jardin encore plus magique : la nature semblait être libre de faire pousser ses plantes comme elle le voulait et les chemins rebelles semblaient tracer de vraies séparations entre les bosquets. Ils s'enfoncèrent dans ce bois où régulièrement une feuille venait effleurer le visage de Léopold. Il s'amusait à les pousser délicatement du chemin, tout en admirant cette nature aussi luxuriante que belle. Les deux gardes, eux, semblaient détester celle-ci car ils découpaient avec leur épée tout ce qui dépassait. Au bout d'un moment, Léopold vit au milieu d'une clairière un kiosque où une longue table était placée, éclairée seulement avec des candélabres, certes nombreux mais qui créaient une ambiance semblable au jardin : calme et reposante. Une dame était assise sur une des chaises qui entouraient la table et Léopold reconnut tout de suite ce beau visage : Alda. Il semblait moins tiré et au contraire la lumière des bougies provoquait sur son visage une beauté nouvelle. Cette femme était fascinante. Quand il monta les quelques marches du kiosque, elle leva la tête du livre qu'elle lisait et se leva. Elle vint saluer son hôte qui lui baisa la main tel un prince charmant. Ils s'assirent chacun d'un coté de la grande table. Des serviteurs amenèrent des cloches en métal qu'ils posèrent devant chaque convive et d'un geste leste et minutieux, ils enlevèrent la cloche, laissant apparaitre une assiette digne de grand restaurant. Léopold était fasciné par ce service et cette assiette. Alda fut la première à briser le silence.

« Alors, comment trouvez-vous notre château ? Du moins le peu de pièce que vous avez pu visiter.

Je les trouve magnifique, d'une grande splendeur, mentit Léopold qui avait détesté cette exhibition de richesse.

Je suis ravie d'entendre cela. C'est moi-même qui ai décoré ce vaste palais, même si mon frère n'a pas trop apprécié. Il trouvait cela trop riche.

En parlant de lui, ne dine t-il pas avec nous ? Des gardes m'ont dit qu'il était revenu de son voyage. »

Elle parut très étonnée. Peut-être était-ce un sujet sensible.

« Quel garde vous a parlé de ce voyage ?

A vrai dire, il m'a seulement dit que le sorcier se tachait à un réaménagement de sa garde, se rattrapa Léopold voyant que cela contrariait Alda.

Oh, lâcha t-elle en se décrispant, à vrai dire, personne n'est au courant qu'il est parti à par nous deux. Et cela doit rester secret. Avez-vous bien compris ? Je fais comme si il était toujours là parce que personne ne doit savoir qu'il s'est absenté, pas même les gardes. Avez-vous bien compris ? »

Le ton qu'elle avait employé était semblable à une mère qui gronde son enfant. Cela fit très peur à Léo. Il s'arrêta de parler, et se concentra sur son assiette. Comment ? Le sorcier n'était pas rentré ? Mais où pouvait-il être ? Alda, qui remarqua le malaise qui s'installait, changea de sujet.

« Vous plaisez-vous dans la chambre ?

A vrai dire, je m'ennuie beaucoup, répondit Léopold, qui saisit l'occasion. Si j'avais quelques livres à ma disposition, je pourrais peut-être voir le temps passer moins vite. Auriez-vous une bibliothèque dans le château ?

Nous n'avons pas de bibliothèque, et j'en suis navré. Nous pouvons cependant mettre à votre disposition quelques ouvrages forts intéressants.

Je vous remercie beaucoup, Madame. »

Uldiv aurait-il menti ? Cette bibliothèque existait-elle réellement ? Léopold croyait que oui, et pensait qu'Alda savait quelque chose. Mais comment lui faire avouer ?

« Madame, puis-je vous demander une faveur ?

-Bien sûr ! Quelle est-elle ?

-Pourrais-je sortir de ma pièce plus souvent ? J'aimerais visiter ces beaux jardins, ou du moins si vous ne m'autorisez pas à sortir du château, simplement visiter ce grand palais.

-Les livres que je vous prêterai ne sont pas suffisants ?

-J'aimerais voir plus de cet endroit qui m'intéresse.

-Je ne conçois pas trop cette idée. Mon frère m'a clairement dit de ne rien vous montrer.

-Pourquoi donc ? Questionna encore Léo qui trouvait la situation de plus en plus trouble.

-Je ne sais pas, sans doute qu'il aimerait vous le montrer lui-même.

-Mais rentre t-il bientôt ?

-Je ne sais pas. Il ne m'a rien dit.

-Je ne pourrais même pas visiter ce château ?

-Non.

-Mais pourquoi donc ?

-Parce que vous ne devez pas sortir de votre pièce.

-Pourquoi cette soirée est-elle une exception ?

-Allez-vous vous taire, cria t-elle t'un ton excédé, je ne fais que respecter les ordres qu'il m'a donné !

-Quels ordres ?

-Vous me harcelez ma parole ! Puisque c'est comme cela, je me vois dans l'obligation de vous renvoyer... Gardes ! »

Les gardes arrivèrent et prirent Léopold sous les bras pour le trainer. Celui-ci essaya de se débattre, mais rien n'y faisait. Ils étaient trop grands et trop robustes face à lui. Alda, toujours assise, mangeait le reste de son assiette sans regarder un instant le prisonnier qui criait son nom. Concentrée sur son repas, la seule chose qu'elle marmonna fut « n'espérez pas sortir de sitôt, car si jour cela se faisait, ce sera pour vous tuer».

Le conte des hérosOù les histoires vivent. Découvrez maintenant