Breathe

4. Vieille connaissance

Encore emmitouflée dans les draps, En un soupir, je tente douloureusement de m'étirer. Ma nuit fut atrocement agitée , la noirceur de la pénombre me laissait entrevoir, sans cesse, deux lueurs bleues au loin. Je cherchais frénétiquement à les atteindre , mais lorsque je me rapprochais d'elles, celles-ci disparaissaient en un éclair. Je suffoquais, Perdue dans le noir de mon inconscient, paniquée dans cet infini de tout et à la fois de rien.

Lasse, j'essaie tant bien que mal, de réduire au silence l'engin  qui est à l'origine mon réveil. Lorsque j'arrive à le saisir , l'écran s'éveille lui aussi , dévoilant soudainement la photo à qui je dois mon agitation. Je n'ai donc pas rêvé. Ce visage qui m'a marqué la veille apparait une nouvelle fois devant moi .

Un jeu homme, d'une trentaine d'années tout au plus, est adossé à une chaise, scrutant méticuleusement l'objectif . Sa mâchoire carrée, ses lèvres pulpeuses dessinées en un demi-sourire sous une barbe naissante lui donnent un charme indéniable. Le décor verdoyant derrière lui laisse à penser qu'il se trouve dans un jardin. Les couleurs dominantes vertes et bleues donnent à la photo une vivacité presque éblouissante . Ses cheveux bruns sont en bataille , façon coiffée-décoiffée. Et une mèche indomptable vient fendre son oeil en deux. La photo s'arrête au niveau de son buste et le T-shirt bleu azur qu'il porte se reflète dans ses yeux, un ton plus clair. Quelque chose s'émane de cet homme, sa posture et son expression dissimulent une force tranquille. Mais de ce regard , aussi hypnotisant soit-il , se dégage une certaine tristesse. Ses yeux malicieux ne sont que façade. Je sais reconnaitre un visage qui a souffert ,et celui-là me bouleverse .

Je me lève péniblement du lit, réajustant le short orange signé NBA qui me fait office de pyjama. Sans parvenir à ouvrir les yeux, je laisse glisser ma main le long du mur, cherchant à l'aveugle, la poignée de la porte de la salle de bain. Mon objectif atteint, j'allume spontanément la lumière qui m'éblouit violemment.

Chier !

Mon orteil bute ensuite contre le meuble en bois contenant les draps de bain.

Merde, merde, merde !

Sautillant sur place, j'ai comme la vague impression que cette journée va être compliquée. Très compliquée. Tout comme j'ai l'impression que cette partie de mon pied ne sert qu'à heurter les obstacles. Sans effort, je porte ma brosse à dents électrique à la bouche, et remercie le ciel de cette ingénieuse invention. Pas d'efforts, pas de mouvements incontrôlés, aucun organe d'atteint.

Quant à mon téléphone posé sur le rebord du lavabo, il me nargue sans remords. Je chasse l'idée de le présenter, lui aussi, au meuble en bois et finis par céder à l'envie de rédiger un nouveau mail. Intriguée et marquée par ma nuit, j'ai subitement envie de rendre plus réelle cette rencontre virtuelle.

De: ELEA.SC@GMAIL.COM

A : ETHAN.SR@GMAIL.COM

OBJET: BONHEUR.

"Tout d'abord, je vous remercie d'avoir pris le temps de lire mon « ébauche » et d'avoir mis autant d'énergie afin de trouver mon profil. Pourtant, je pense qu'il aurait été judicieux que vous utilisiez ladite énergie à une autre activité. Pour information ,je posais tout simplement quelques hypothèses sur MA définition du bonheur. Je cherchais par là une réflexion. Voulez-vous que je vous donne la définition du mot réflexion? Si par chance vous la trouvez, alors il serait tout à fait bénéfique de l'utiliser afin de revoir ma proposition sur le tableau d'hier".

J'appuie sur la touche « envoyer » , puis lève la tête afin de rencontrer mon reflet dans le miroir. Ce que j'y vois ? Mes joues ont pris une jolie teinte rosée. Quant à mes pupilles, elles sont complètement dilatées, brillant de malice . Enfin, Un demi-sourire victorieux trône sur mon visage. Cela fait bien longtemps que je n'avais pas croisé cette expression. Une vieille connaissance réapparaissant à l'aurore. Me rappelant que je l'avais presque oubliée et à quel point il est bon de la revoir ...