7. Âmes en perdition

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Pierre s'est endormi il y a maintenant quinze minutes. Sur le canapé de mon salon, les mains jointes sous sa tête , il semble maintenant apaisé . Assise sur le vieux plancher, face à lui ,j'apprécie le calme et l'obscurité de la pièce. Retranchée comme un animal apeuré, je n'ose bouger. De peur de le réveiller et qu'il prenne conscience de ce qu'il s'est passé ce soir. Parce qu'à son réveil c'est ce qu'il se produira. 

Son cerveau va bouillonner , il va examiner, réfléchir, analyser , repasser en boucle cette soirée , mais surtout sa réaction et ce que cela implique. Les bras ballants posés sur mes genoux , j'examine les quelques égratignures sur mes mains causées par la chute. 

Comment ces évènements ont-ils pu se produire ? Qu'est ce que j'ai manqué? 

Je n'entends que les souffles réguliers de mon ami. Inspiration, expiration, inspiration, expiration. J'essaie de faire correspondre le rythme de ma cage thoracique à la sienne , ce qui me permet de me détendre. J'ai eu un mal fou  à le calmer , il ne disait rien , un silence angoissant. Ses mains tremblaient de rage , ses yeux  exorbités n'avaient plus d'âme  . Je sais qu'il luttait contre cet état de colère intense et si je ne l'avais pas arrêté je n'ose imaginer ce qu'il se serait produit .  

J'aperçois soudainement une ombre et reconnais Luna qui s'approche  timidement. Celle-ci m'envoie un sourire réconfortant, que je lui rends. Ses marques d'affection réussissent à dédramatiser la situation . Puis, d'un signe de tête, elle m'encourage à  la suive.  Luna a assisté à notre arrivée en début de nuit et lorsqu'elle a vu l'état dans lequel se trouvait Pierre ,celle-ci s'est tout simplement retirée. Tellement habituée à ce genre de drame, peut-être même un peu trop, elle savait qu'il fallait me laisser gérer ça .

Nous entrons  doucement dans sa chambre. Les couleurs pastels roses et beiges  de la tapisserie et des draps donnent un côté innocent et enfantin à la pièce. Mon amie s'installe sur son lit me laissant la place de m'allonger à côté d'elle. Toute lumière éteinte, seul le reflet du lampadaire extérieur illumine son visage angélique et sa chevelure blonde. Nous examinons le plafond quelques minutes, ne sachant certainement pas par où commencer. Mais Luna interrompt ce silence,

— Je vous ai entendu discuter tout à l'heure , ils étaient là ce soir , n'est-ce pas ?

— Oui . 

La jeune femme ferme les yeux, et pousse un long soupir . 

— Que s'est-il passé ?

— Je ne sais pas trop, tout est allé si vite, une bagarre a éclatée. Je crois que Sullivan en était à l'origine. Mais je n'en suis pas sûre.

— Et Pierre ? 

 — Là encore je ne saurais dire , il s'est laissé entrainé, je crois.

— Tu ne pourras pas toujours le sauver Eléa. 

La voix de Luna est sèche, piquante, et elle a l'effet d'une gifle.

C'est un adulte, un adulte de vingt-six ans qui fait ses propres choix. Il sait ce qu'implique le fait de côtoyer ces individus, Il connait les conséquences. 

— Je ne peux pas le laisser se détruire une nouvelle fois. Je ne peux tout simplement pas, Luna, c'est viscéral . Argumenté-je d'une voix calme.

— À vouloir autant l'aider, tu vas te perdre.  

Là encore elle marque une pause. Puis se tourne vers moi. 

Tu l'as déjà fait une fois. Souviens-toi de ce combat, tu t'y es épuisée Eléa. Tu ne peux pas passer ta vie à essayer de sauver une âme en perdition.  

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