Je ne peux dire combien de minutes, d'heures se sont écoulées depuis que je suis assise dans cette voiture , moteur éteint, immobilisée sur ma place de parking. Seule l'ampoule du lampadaire, envahie par de petits papillons de nuit éclaire les environs. Tournoyants en une danse vertigineuse, ils m'hypnotisent et me retiennent prisonnière. Tout est si calme , et même si le silence a pour habitude de me mettre mal à l'aise je suis reconnaissante de sa présence ce soir. Comme si cet espace confiné me protégeait . Je ne suis pas prête à bouger, je n'ai pas le courage de sortir,car je sais que lorsque je poserai un pied à Terre tout mon quotidien sera chamboulé.
Les yeux rivés sur mon téléphone , l'encerclant de mes doigts fins, je le scrute, le retourne, le détaille comme s'il détenait tout une vérité. Comment un si petit appareil peut-il vous communiquer autant d'émotions? Plus complexes et différentes les unes que les autres. Comment un objet aussi quelconque peut-il remettre en question vos convictions et vous plonger dans un déferlement de questions ?
Je suis déchirée entre mon esprit rationnel qui m'envoie une multitude de signaux d'alerte. Car une telle proposition ne peut naitre que d'un esprit torturé. Ce que j'ai vu la première fois dans son regard s'est justifié ce soir. Cet homme est façonné d'une immensité de nuances aussi complexes les unes que les autres. Il me surprend, me happe avec violence cherchant à repousser mes limites. A contrario , mon âme a envie de plonger à coeur perdu dans cette épreuve . J'ai envie qu'il continue à me bouleverser , par ses écrits, sa voix , par l'étrange effet qu'un simple frôlement a sur moi. Et je sais pertinemment que cette partie-là aura le dessus. Je ne pourrai pas lutter.
Je trouve mon regard dans le rétroviseur intérieur. Inquiet et envouté. Je cherche à capturer cet instant pour l'inscrire en mémoire, comme si c'était la dernière fois que je me voyais telle que je suis aujourd'hui.
A quel point les choses vont-elles changer ?
Brusquement quelqu'un entre dans ma voiture, me tirant brusquement à ma réflexion. Et pendant une seconde, en un battement de cil, mon esprit tourmenté a espéré que ce soit Ethan.
Mais dans un long soupir de soulagement, le poids que soutenaient mes épaules se dissipe quand je devine les boucles brunes de Pierre . Il prend place à mes côtés et m'interroge du regard sans pour autant prendre la parole. Je décide alors de briser ce silence.
— Est-ce que tout va bien ? Je me suis inquiétée pour toi toute la journée.
— Ouais ... j'ai été occupé... j'ai trouvé du travail alors, tu sais...
Même s'il me fait face , les yeux de Pierre sont rivés sur son siège. Jouant de ses doigts avec une couture abîmée. Presque mal à l'aise , comme si aucune de ses paroles n'étaient vraies.
— Oh et où ça ?
— Dans un garage près du centre , ce n'est pas quelque chose d'officiel, mais c'est un début .
J'écarte l'idée qu'il puisse me mentir , et ne fais aucune réflexion par rapport à cela . Je ne veux pas qu'il s'agace, afin de me laisser la liberté de lui poser la question qui va suivre.
— Est ce que l'on pourrait discuter de ce qu'il s'est passé hier soir ?
Malheureusement, sa réaction fut sans appel.
— Eléa ... Tu es sur mon dos en permanence , lâche-moi , tu vois que je suis en un seul morceau, que je vais bien, alors arrête.
Sa tension est sous-jacente , je sais qu'il fait de son mieux pour garder son calme. Mais ce n'est pas mon cas. Pas ce soir, pas après la journée et la soirée que je viens de passer.
— Je ne vais pas m'excuser de m'inquiéter et de veiller sur toi . Je ne vais pas m'excuser de te connaître aussi bien , et de m'être aperçu que quelque chose ne tourne pas rond! Nous prenons soin l'un de l'autre, c'est ce que nous faisons depuis toujours. Et je ne vais certainement pas te démontrer que je t'aiderai à sortir de n'importe quelle situation . Que rien ne me fait peur si tu es concerné . Tu le sais , alors laisse-moi être là pour toi !
Je suis à bout de souffle après ma tirade et j'ai parlé beaucoup plus fort que ce que je n'avais espéré. Les yeux de Pierre étaient plongés dans les miens tout du long , mais pourtant Il ne semble pas touché par mes paroles . Mes mots sont sortis aussi vite que possible , ont glissé, mais ne se sont absolument pas imprégnés en lui.
— Ouais, nous faisons ça depuis toujours. Il est peut-être temps d'arrêter.
Ses paroles ont percuté mon esprit avec une telle violence que ma tête s'est mise à tourner pendant une seconde. Il vient de me faire mal , et c'était le but . Son regard est insistant, impassible. Il juge l'effet que ses mots ont sur moi , et je crois qu'il jubile de sa victoire. L'attaque pour se défendre, je connais bien cette technique et il est en train de m'offrir sa plus belle représentation.
— Qu'est ce que tu ne me dis pas, Pierre ? Depuis quand avons-nous des secrets ?
— Qu'est ce que TOI tu ne me dis pas ? Tu veux qu'on parle de TES secrets Eléa ? Qu'est ce que tu fais dans ta voiture en pleine nuit ? Pourquoi tu ne descends pas et n'entres pas dans ton appartement ? Vingt minutes que je te regarde depuis la fenêtre du couloir de la résidence. Vingt minutes que j'attends que tu bouges. Mais tu es restée là, immobile, et qui plus est habillée de la sorte ? D'où est-ce que tu viens?
Là, il marque un point. J'aimerais lui parler d'Ethan, lui dire que nos échanges réguliers ont fait naitre quelque chose en moi, quelque chose qui s'est installé à côté de ma vieille compagne de route, la souffrance. Que ce quelque chose, que je ne suis pas encore capable de nommer, est en train de faire de la place dans le creux de mon estomac. J'aimerais lui dire ce qu'il vient de se produire ce soir , et lui avouer que je suis morte de trouille à l'idée de ce qu'il va se passer dans les prochains jours.
Mais je ne le ferai pas , d'abord parce qu'il essaierait de saisir et de rendre puissante la partie rationnelle de mon cerveau. Mais aussi pour le protéger, parce que même s'il ne montre aucune considération pour ma personne ce soir , je sais qu'il s'inquiéterait. C'est alors que mon ami reprend de plus belle.
— Tu vois, tu ne dis rien. Mais je ne poserai pas plus de questions . C'est ta vie après tout. Prend exemple Eléa, et laisse-moi faire de la mienne ce que je veux.
Sur ces derniers mots , Pierre sort de la voiture laissant son siège vide, et un vide encore plus grand dans mon coeur. Cette tendance à l'auto-destruction commence à m'énerver sérieusement. Et c'est ce sentiment de colère qui me donne l'impulsion que j'attends depuis des heures.
Message à Ethan 01h08 : Mettons-nous d'accord sur les conditions de ta proposition.
Je prends une grande inspiration , regarde une dernière fois mon reflet dans le rétroviseur, puis ouvre d'un geste assuré la portière de la voiture . Et en un claquement de talon , je pose un premier pied au sol et un second dans ma vie.
************************************************
Hello, j'espère que ce chapitre vous a plu ! Comment jugez-vous la réaction d'Eléa? Que pensez-vous du personnage de Pierre? Avez-vous une idée de ce qu'il ne dit pas?
Merci d'avoir pris le temps de me lire !
L'aura.
VOUS LISEZ
Breathe
RomanceExiste-t-il réellement un instant, aussi court et futile soit-il où chacun de nous réalise qu'il est heureux ? Une certaine prise de conscience où le temps se suspend et où l'on se rend compte que rien ne manque ? La vie d'Eléa, jeune infirmière, es...