22. Retour précipité

288 52 8
                                    

Le trajet du retour s'est déroulé sans un mot . Si Matt avait l'intention de me replonger dans son fameux royaume du silence, c'est ce qu'il s'est effectivement produit. Contre son gré cette fois-ci. Il n'a aucunement eu le temps de formuler sa plaidoirie pour  me convaincre, ma décision était irrévocablement prise. 

J'ai tourné rapidement les talons et pris le chemin du retour. Plusieurs fois, il a tenté de rétablir le dialogue, saisissant mon bras, que j'ai rapidement dégagé . J'ai traversé cette forêt aussi vite que j'ai pu , semant un Matt pris au dépourvu. A maintes reprises, il a essayé de me faire entendre raison, mais je ne lui en ai jamais laissé l'occasion.

Je suis restée immobile sur le siège du vieux pick-up, le regard voilé, rivé sur le bas côté . Les doigts délicatement posés sur mes lèvres. Plus aucune parole ne devait être prononcée après mon annonce. Et même si j'ai senti ses petits coups d'oeil inquiets , pas une seule fois je n'ai affronté son regard. 

Je  voulais simplement que l'on arrête de me donner des ordres et que l'on me dise ce que je devais faire.  Si Ethan désirait me donner l'occasion de lâcher prise en une chute vertigineuse , ce n'est pas ce que j'ai choisi. Je m'étais promis de ne plus subir , et je suis fière d'avoir su rester maitre de la situation.  

Il ne me doit rien ? Alors moi non plus. 

La voiture de Matt s'est immobilisée sur le parking de ma résidence.  Et après quelques secondes d'attente, un long soupir s'est échappé de ses lèvres. Ce n'est que lorsqu'il a prononcé mon prénom, que j'ai violemment claqué la portière et que j'ai arpenté, d'un pas plus que décidé, l'allée menant à mon appartement. 

Adossée à la porte d'entrée , les genoux repliés, je suis maintenant assise depuis un temps considérable.  Reprenant tan bien que mal mes esprits, fixant inlassablement une petite rayure sur le carrelage blanc.  Toute cette matinée se projette sur le sol, en boucle. J'ai l'impression , à cet instant , de revivre la scène qui s'est accomplie quelques heures plus tôt.

Il n'était qu'une vulgaire tâche écrasée sur le sable, alors que je trônais sur mon rocher. Il observait en coulisses alors que je brillais sur  scène. Si Ethan était beaucoup trop loin pour sentir mon regard qui le toisait allègrement,  je suis certaine qu'il ne s'attendait pas à ce revirement de situation. Et c'était le but. J'espère sincèrement, comme il le dit si bien, que le message a bien été réceptionné.

Curieusement, je ne peux m'empêcher de me demander ce qu'il se serait produit si j'avais sauté. M'aurait-il rejoint dans l'eau ? M'aurait-il avoué  à quel point il me trouvait courageuse? Aurais-je pu enfin découvrir le contenu de son âme à travers ce regard tant convoité? M'aurait-il touchée ? Frôlée ? Faisant naitre ces frissons encore et encore? M'aurait-il attendue assis sur le sable accompagné d'un sourire amusé ? 

M'aurait-il seulement attendue ? 

Le temps que je rejoigne la surface, le temps de reprendre ma respiration et d'ouvrir les yeux. Aurait-il été encore là ? Je n'y crois pas une seconde. Je serais réapparue à la surface, trempée et seule. Ethan aurait disparu,  évaporé dans la nature, comme à chaque fois. Il aurait été présent sans l'être réellement. Et je remercie le ciel d'avoir échappé à une nouvelle déception. 

La sonnerie de mon téléphone met un point d'honneur à mes questionnements. Une photo de Luna et moi s'affiche alors sur l'écran , m'annonçant un appel en visio. Je passe une main sur mon visage, revêtant le masque d'une jeune femme souriante et heureuse que je veux faire paraitre. Je clique sur le petit bouton « répondre » et le visage souriant de ma meilleure amie apparait enfin. 

—Bonjour toi !

— Bonjour Luna, comment vas -tu ?

— Ma colocataire me manque tellement !

Nous rions en coeur, heureuses de nous retrouver, même par écran interposé. Remarquant qu'elle a enfin réussi à dompter sa crinière, je ne manque pas de souligner cet exploit. 

— Il a l'air de faire très humide là bas. Nom d'un chien, mais qu'est-ce que tu as fait à tes cheveux ? 

— Le changement Eléa ! le changement. Merci, au passage, pour tes compliments qui me font toujours plaisir !

— Arrête , je suis sure que tu t'ennuies sans moi !

— C'est faux ! J'occupe très bien mon temps ! les Néo-Zélandais sont très accueillants .

Son sourire coquin me fait comprendre qu'elle s'adonne à son activité favorite , même à des milliers de kilomètres.

— Tu es incorrigible !

Luna repousse alors nonchalamment une mèche de ses cheveux blonds et prend un air hautain.

— Je sais. Et toi, comment va la vie ?

 Son visage s'approche alors de l'écran, m'offrant un magnifique zoom sur son front. 

Mais, où est-tu ?

Je ne m'étais pas rendu compte que j'étais toujours assise contre la porte d'entrée. Seul un fond blanc et neutre domine en arrière-plan. Je me lève rapidement, priant pour ne pas avoir éveillé ses soupçons. Mais l'échec cuisant de ma tentative se dévoile lorsque je remarque les sourcils de mon amie se froncer amèrement.  

— Eléa, tout va bien ?

— Oui, j'essayais de retirer ces fichues baskets.

— Des baskets ? Mais où étais-tu ?

Pourquoi n'ai- je pas dit "Escarpins" ?

— Oh, pas loin .

Maigre prestation Eléa.

— Tu mens ! 

En un sens, non je ne mens pas. Mais les soupçons de détective Luna  sont plausibles , étant donné que je ne sors jamais pour me balader sans raison. Enfin, pas toute seule.

— Non, Luna .

— Là ! A l'instant ! Tu viens de sourciller !

Mon dieu, mais comment fait-elle pour remarquer tous ces détails à travers un si petit écran ? 

 — Eléa Scott ! Je te somme de me dire ce qu'il se passe ! 

— Ce n'est pas important , nous en discuterons dans un mois et demi, à ton retour.

Cette furtive pensée emplit tout mon être de joie. Plus que quelques semaines de patience et Luna sera de nouveau à mes côtés . Tout rentrera dans l'ordre , je lui parlerai d'Ethan et nous nous esclafferons ensemble face à cette somptueuse blague. Ma vie reprendra son cours normal dès lors qu'elle franchira cette fichue porte.

— Justement, je compte rentrer plus tôt.

— Ha bon? Mais pourquoi écourter ton séjour ? Je croyais que adorais cet endroit.

—  C'est le cas ... 

Un silence gênant ainsi que la mine hésitante de mon amie commencent sérieusement à m'inquiéter. 

 — Je compte rentrer plus tôt afin de rassembler le reste de mes affaires, Eléa.

Je comprends alors, ce que Luna essaie de m'avouer à demi-mot. La prochaine fois qu'elle reviendra ici sera la dernière. Mes lèvres s'entrouvrentmais le bruit assourdissant de la sonnette m'empêche d'intervenir. 

  Ce n'est vraiment pas le moment !

Et telle une furie, j'ouvre brusquement la porte et devine la triste de mine de Matt refaisant surface sur mon paillasson. Pour la seconde fois de la journée. 

— Je n'ai pas eu le courage de partir.

La tête baissée, courbant l'échine, il semble attendre le coup fatal. Tout cela pendant que la  voix stridente et paniquée de ma meilleure amie grésille à travers le combiné.

— Eléa, qui est-ce ? Tu es toujours là ? Est-ce que je dois appeler la police ? Eléa, réponds-moi !

Je place une dernière fois l'écran devant mes yeux et m'écarte de l'entrée.

— Je te rappelle plus tard, Luna.

BreatheOù les histoires vivent. Découvrez maintenant