Affaire d'État

26. L'aigle et le lion

J'ai arrêté de m'ennuyer en cours de technologie depuis aujourd'hui. Mon poignet est presque totalement rétabli, et je peux le bouger sans mal, donc Thomas me laisse enfin participer aux manipulations. Alors que nous formatons le logiciel avec la télécommande à distance, je réfléchis à ce que m'a dit Jonathan tout à l'heure, dans la cour, à propos de cette lettre de menace. Je suis certaine que ce tampon n'a pas été mis là pour rien. Alors je décide d'en parler à Thomas.

- Tu en penses quoi de ce que nous a dit Jonathan, à l'heure du déjeuner ?

Thomas tourne son regard vers moi, très sérieux, et il murmure :

- Par rapport à la menace qu'a reçu son père ?

Je hoche la tête lentement pour approuver.

- Je pense que le fameux objet précieux est bien Jonathan, comme tu le penses. Tu as bien fait de lui poser des questions sur ces menaces, moi il ne m'en a jamais parlé alors il aurait été difficile d'aborder le sujet. Mais ce dont on est sûr maintenant c'est qu'ils vont s'en prendre à Jonathan. Reste à savoir quand exactement.

Après l'avoir écouté, je prends la pince plate et assemble deux fils entre eux dans la télécommande. L'écran de celle-ci s'allume et s'éteint aussitôt. J'ai dû me tromper dans le placement des fils, alors je retourne la télécommande et continue de réfléchir à voix haute, pour que Thomas en profite.

- Je pensais à cet emblème dont il nous a parlé. Celui de son ennemi n'a pas été marqué par Fickelman lui-même, il n'a pas écrit la lettre non plus d'ailleurs, ce qui fait qu'il doit avoir des complices. Ça nous complique encore plus la tâche.

- Le plus important pour le moment, c'est de protéger Jonathan, et de trouver notre intrus. Je pense que les agents de la PPAE s'occuperont personnellement des gens qui travaillent dans l'entreprise.

- Oui, mais en attendant j'essaye de comprendre leurs motivations. Et comme a dit Jonathan, les animaux reflètent leurs valeurs, ou plutôt leurs personnalités. Si on y réfléchit bien, le lion est un animal puissant, il est associé au roi des animaux, rien ne lui résiste parce que c'est un prédateur. Il peut donc être associé à la prétention, à l'égocentrisme, mais aussi à une forte personnalité qui sait se faire entendre. Quant à l'aigle, c'est un animal puissant mais qui sait se faire plus discret. Il ne s'attaque jamais à plus gros que soit, mais il reste tout de même un rapace, donc un prédateur. Lui aussi peut être associé à une personnalité qui se remarque, mais il reste authentique et sans artifices. Ce sont deux animaux totalement différents, mais qui imposent leurs idées et les défendent coûte que coûte. Et c'est pour cela qu'ils représentent les deux entreprises qui, selon moi, dominent toutes les autres, mais n'arrivent cependant pas à s'entendre. Ils sont continuellement en compétition.

Je reprends ma respiration après ce long monologue pendant lequel je n'ai pratiquement pas soufflé. Toutes ces théories peuvent paraître dingues, j'en suis consciente, mais je suis presque certaine que tout ça a un lien avec notre affaire. Non le fait que les animaux soient comme ils sont, mais le fait que tout cela nous ramène à une seule chose : la compétition des deux plus grandes entreprises de hautes technologies. Thomas me fixe depuis un moment, et j'ai l'impression qu'il n'a pas cligné des yeux depuis que j'ai commencé à parler. Je le fixe à mon tour, attendant une réaction de sa part, mais rien ne vient.

- Qu'est-ce qu'il y a ? Pourquoi tu me fixes ?

- Rien... Pour rien.

Il cligne plusieurs fois des yeux et tourne sa tête vers notre travail.

- Si, j'ai bien vu que tu me dévisageais, alors dis-moi ce qu'il y a.

Je suis sincère dans mes paroles mais elles ne sont pas froides pour autant. Je suis curieuse de le savoir c'est tout. S'il se moque de moi, alors là il aura le droit à des paroles froides.