34. Prendre du recul

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Je tripote nerveusement mon bracelet, puisque après mon top départ mental, la seule chose qui est sortie de ma bouche a été de l'air. Cette situation me fait repenser à un moment que je ne suis pas prête d'oublier. Je ne portais pas exactement ce genre de bracelets à l'époque, mais comme ici, je n'avais rien envie de dire. Seulement l'envie de m'enfuir très loin de là où j'étais.

***

Je suis au poste de police, coincée sur cette chaise ridicule et inconfortable, devant un bureau beaucoup trop rangé par le gars juste en face moi, qui a l'air d'un maniaco-dépressif insupportable. Les menottes attachées à mes poignets me font mal et me grattent comme c'est pas permis. Je ne cache pas mon manque de confort et n'arrête pas de gigoter devant ce même mec qui n'a de cesse de me fixer sans rien dire. Alors, pour rentrer dans son jeu pervers, je ne fais plus un geste et le regarde d'un œil arrogant. S'il veut jouer au plus malin, il ne risque pas de gagner. Ces flics se prennent la tête pour rien, ont le don de prendre la tête aux autres, et en plus, ils se permettent de prendre la grosse tête. J'explique même pas la migraine en rentrant. Je comprends qu'ils n'arrêtent pas de se plaindre à tout va.

Je m'adosse au dossier de la chaise sans le quitter des yeux, et il arbore un rictus de fierté. C'est sûrement sa première et dernière prise du mois, il doit être tellement content de lui. Attraper un ado, quel exploit !

Alors... commence-t-il en s'accoudant à son bureau. Tu es Alice, c'est ça ?

Et toi, tu es remarquablement perspicace étant donné que c'est marqué sur mon dossier. Je ne dis rien et me contente de continuer à la fixer en serrant les dents. Je pourrais prendre un sourire amusé, mais je ne veux pas lui faire cet honneur. Voyant que je ne lui réponds pas, il continue :

Je suppose que tu sais pourquoi tu es là...

S'il attend des aveux de ma part, il peut toujours attendre. Même si je voulais démentir ne serait-ce qu'une seule chose, je ne dirais rien. Parce que le silence est vraiment la pire des conversations. Et c'est pourquoi je n'ai pas dit un mot depuis que ce fumier m'a arrêté.

Tu as quel âge ? Dix-sept ans ? Sûrement moins même. Tu devrais savoir que faire ce que tu as fait, ce n'est pas très légal.

Et ça y est ! On part pour la leçon de morale. C'est pas bien, il faut pas faire ci, il faut pas faire ça. Moi qui le trouvais déjà insupportable, le voilà lourd et assommant. Autant qu'il me dise que nous habitons dans le monde des Bisounours et que personne n'a jamais commis de délit, et tout ça aura autant de sens que le speech qu'il s'apprête à faire.

Tu risques gros avec cette affaire, même si ce n'est qu'un délit. L'homme que tu as devant toi sera le plus sympa que tu rencontreras dans ton parcours jusqu'au juge.

Je rêve ou il parle de lui à la troisième personne? Ça, c'est le top du narcissisme.

Même si tu n'es pas majeur, il va vouloir te faire tomber, te mettre dans une maison de redressement. Et en attendant, je vais aller t'enfermer dans une de ces jolis cages là-bas.

Il pointe du doigt les cellules à sa gauche, et je ne prends pas la peine de tourner la tête, sachant très bien de quoi il veut parler. Non. Je reste impassible, les yeux rivés sur lui.

Mais bon, honnêtement, moi je m'en tape. Que tu sois ici ou ailleurs, mon job est fait et je rentrerai chez moi ce soir, alors je me fiche de ce que tu vas devenir. Peut-être que je serai même plus tranquille quand tu seras enfermée.

Qu'il aille se faire voir. Je serre les dents et ma mâchoire se crispe. Je n'ai pas peur de lui, il m'énerve, c'est tout. Le flic se lève, abandonnant tout duel de regard, pendant que le mien reste figé sur cette chaise maintenant vide. Puis mes yeux s'abaissent sur les bracelets de métal toujours attachés à mes poignets.

Affaire d'ÉtatOù les histoires vivent. Découvrez maintenant