55. Nuances de couleurs

516 45 1
                                    

Mon regard passe de gauche à droite, scrutant les moindres recoins pour discerner un visage, ou ne serait-ce que l'ombre de quelqu'un. Après s'être tues un instant, les voix reprennent, plus fortes cette fois. Nous nous enfonçons dans l'usine, et je comprends que ça vient de plus loin devant nous. Je distingue deux voix différentes mais ne les reconnais pas. L'hypothèse que ce soit Jonathan se fond petit à petit, jusqu'à disparaître complètement quand j'aperçois les locuteurs que nous entendons depuis quelques minutes. Deux jeunes, au loin, habillés de jean trop grands délavés, de t-shirts larges, et coiffés avec des casquettes, sont en train de taguer un immense dessin sur l'un des murs de la salle, ouverte sur l'extérieur. Je fais un signe de tête à Thomas en direction des deux garçons âgés d'environ quinze ans, et il me fait comprendre qu'il les a bien vu, et qu'il a une idée pour les gérer. Ils ne doivent pas rester ici, pas si nous y sommes en ce moment. Et il ne faut pas qu'il nous aperçoivent de trop près, je n'ai pas envie que quelqu'un puisse nous reconnaître comme étant sur les lieux à ce jour. J'enlève ma main de la crosse du pistolet, avant que Thomas s'écrie vers les deux jeunes, assez fort pour qu'ils l'entendent et qu'il paraisse sévère :

— Hey ! Qu'est-ce que vous faîtes là, les jeunes ?

Les deux visages se tournent vers nous, surpris et légèrement paniqués, puis nous entendons brièvement l'un des deux crier « Les flics ! » avant de les voir détaler comme deux lièvres durant la chasse. Je me tourne vers Thomas, impressionnée par cette tactique qui ne m'avait pas traversé l'esprit. Il faut être vraiment tordu pour faire croire ça aux gens, quoi qu'il n'a rien dit, ils n'ont fait qu'émettre l'hypothèse qu'il fallait. Ou bien, il faut l'avoir vécu. Intéressée par ce possible passé de Thomas ayant fait des dommages à cause de graffitis, je lui lance un regard discret, levant les sourcils comme simple question muette.

— Quoi ? Tu n'as jamais fait ça ?

— Me faire passer pour un flic, ou taguer les murs d'un bâtiment abandonné ?

— Ah ah, très marrant, dit-il de manière sarcastique, souriant tout de même à ma remarque. Ça dépend, c'était pour quoi ce petit regard en coin plein de sous-entendus ?

— Je ne vois pas de quoi tu parles, je n'ai aucun regard de ce genre.

Thomas sort un petit rire qui montre que la situation l'amuse beaucoup et me contredit :

— Oh si, tu vois très bien de quoi je veux parler. Tu sais, ce regard qui veut dire « Je ne pensais pas que tu étais comme ça » ou « Ah parce que tu as fait ça, toi ! » ou encore, et ça c'est le meilleur : « Vas-y, explique-moi tout ».

— Oh ! Ce regard-là... fis-je, innocemment.

C'est au tour de Thomas d'attendre des explications, alors que c'est sur lui que j'ai fait une découverte au départ, mais je compte bien rattraper mon retard.

— Eh bien en fait, je ne pensais pas que tu avais un passé en tant que jeune délinquant tagueur de messages philosophiques sur les murs des écoles ou ceux des entrepôts abandonnés.

— Quoi ? Je n'ai pas de...

— Je t'en prie, le coupé-je. Il n'y a que quelqu'un qui a déjà vécu ça qui aurait eu une idée pareille pour les faire fuir.

— J'avais à peine leur âge, et ce n'étaient pas des messages philosophiques mais des dessins que nous faisions sur des trains de marchandises.

Et bien voilà, quand il veut ! Je rigole dans mon coin en me faisant une image dans ma tête. Alors comme ça, M. Peterson n'est pas aussi parfait qu'il prétend l'être. Comme si elle avait lu dans mes pensées, Zoé laisse entendre à l'oreillette :

Affaire d'ÉtatOù les histoires vivent. Découvrez maintenant