65. Le bout du tunnel

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Je me dépêche alors qu'il a déjà pris quelques pas d'avance sur moi. Et quelques points aussi. Les coups tordus sont ma spécialité normalement, alors je ne devrais pas me faire avoir aussi facilement. Mais je mets ma frustration de côté pour avancer et me concentrer sur notre plan. Nous ne sommes pas loin d'arriver au but final de cette mission. Je n'arrive même plus à croire que nous n'allons pas tarder à voir Jonathan. Après des jours et des jours de recherches, il n'était devenu plus qu'un prénom, son visage avait réussi à s'effacer même si son sourire était quelque chose que je ne pouvais oublier. On ne pouvait oublier ce qui le caractérise. J'ai bien peur qu'il l'ait perdu pendant ce long séjour avec les hommes de main de Fickelman, malheureusement. 

De plus, avec toutes les péripéties qui nous sont arrivées ces derniers temps, je crois avoir oublié parfois le réel but de notre mission. Ce n'en est plus une anodine, et je ne le comprends qu'aujourd'hui. C'est la plus importante que j'ai eu depuis le début de mon existence. Je me remémore les souvenirs que j'ai gardé, toutes ces choses que j'ai vécu avec Jonathan, Thomas et tous les autres. J'ai l'impression que ça remonte à une éternité. L'esprit dans les nuages, je m'accorde pour une fois depuis longtemps le droit de rêvasser et de penser à quelque chose d'agréable. Nous avons vécu tellement plus que ce qui était prévu au départ. On peut en retenir beaucoup de tensions à cause des relations que j'avais avec Thomas à ce moment-là, mais j'avais failli oublier tous ces bons moments qu'on a passé grâce à Jonathan, parce qu'il était là. Il m'a en quelque sorte obligé à m'ouvrir à la vie, et je crois que c'est de cela que ma mère parlait dans sa lettre. Elle n'a jamais voulu que je vive simplement pour vivre. Je le savais bien, au fond de moi, mais j'évitais de m'en convaincre pour ne pas avoir à faire d'effort. Avec le blond, tout s'est fait naturellement, sans le moindre effort. Ou presque.

Thomas passe un bras sur mes épaules et me tire de ma rêverie. Je tourne ma tête vers lui, toujours un peu ailleurs, et le vois sourire, détendu, pour la première fois depuis... eh bien je ne me souviens même plus depuis quand. Il y a tellement de tension dans ce que nous faisons qu'il est difficile pour nous de montrer un signe de détente sur nos visages.

— Tu penses à Jonathan ?

Je hoche la tête et devine par la même occasion que son esprit à lui aussi devait être occupé par les mêmes pensées. Et je me rends compte que ça fait du bien de lâcher prise quelques fois. Même si je sais très bien dans quelle situation est Jonathan, je suis maintenant certaine que nous allons le retrouver. C'est ce qui me permet de lâcher prise.

— Est-ce que tu te rappelles de ce jour où il était arrivé, super fier, avec un nouveau short e njean, et qu'il avait fait tomber cette sauce ignoble dessus au bout de deux heures ?

Je rigole quand je me remémore la tête que notre ami avait faite, et Thomas m'accompagne.

— Comment je pourrais l'oublier ? réponds-je simplement. Il t'avait accusé en disant que sans toi, il n'aurait jamais pris ce plat et ne se serait jamais tâché.

— Et toi tu te retenais pour ne pas exploser de rire ! renchérit Thomas.

C'est vrai que ce jour-là a été mémorable. C'était un jour comme un autre et pourtant je m'en rappelle comme de ma première mission. Je regarde l'écran du téléphone et ce bouton rouge qui clignote toujours. Je me demande ce qu'on va trouver au bout de ce tunnel gigantesque. Ce qui est sûr, c'est que Jonathan ne s'attend pas à nous voir arriver. Je crois que j'ai hâte de voir la tête qu'il fera quand il nous verra. Ça fait tellement longtemps qu'on ne l'a pas vu ! Pas des mois, c'est sûr, mais c'est tout comme. J'ignore s'il attend toujours d'être sauvé, ou s'il a perdu tout espoir qui le tenait au départ. Après tout, il doit certainement plus penser à Genny et au moyen de la garder envie que de sa propre santé. Je connais Jonathan, il fait toujours passer les autres avant lui. Je me rends compte qu'il ne sait même pas encore que Genny est saine et sauve, et très probablement à l'hôpital à l'heure qu'il est. Il sera heureux de le savoir quand nous l'aurons retrouvé. Il ne manque plus que ce petit détail. Enfin, petit gros détail. 

Affaire d'ÉtatOù les histoires vivent. Découvrez maintenant