À la nuit tombée, le grand feu au milieu du village avait été rallumé et de grandes flammes brisaient l'obscurité. Le chef avait retrouvé sa place sur un petit banc de bois tandis que d'autres villageois étaient venus se joindre au reste du village afin de partager ce moment tous ensemble.
Je me retrouvais assise sur le sol poussiéreux à côté du chef. Deux hommes armés de lance se tenaient fermement droit derrière moi, surement prêt à intervenir si je tentais quoi que ce soit. De nombreux natifs continuaient de m'observer avec toujours autant d'insistance.
Tout le monde restait silencieux. Seuls les rires de quelques enfants s'amusant en famille un peu plus loin déchirait ce silence lugubre. Un peu plus tard, deux hommes étaient venus se joindre au groupe, Chayton et Wakiza. Ils saluaient poliment le plus vieux avant de s'asseoir à leur tour autour du feu, tout en restant à proximité de leur chef.
Ils avaient discuté un moment, n'échangeant que dans leur dialecte, je ne comprenais pas un mot de ce qu'ils pouvaient raconter. Pour autant, je savais pertinemment que le sujet de cette conversation n'était autre que moi. Le chef avait eu les yeux rivés en ma direction tout le long, tandis que Wakiza haussait le ton comme à son habitude et je savais que lorsqu'il s'agissait de parler de mon sort, il se montrait encore plus irritable . Chayton lui restait calme, le chef semblait d'ailleurs s'intéresser davantage aux paroles du plus sage des deux. J'avais croisé plusieurs fois les prunelles brunes de l'Amérindien, il n'y avait aucune expression traduisible dans son regard, pourtant je n'arrivais pas à détacher mes yeux de ses iris d'un bruns si profond, il avait quelque chose d'intriguant.
La conversation avait duré un moment, je sentais même le sommeil s'accaparer petit à petit de moi, j'avais lutté un moment pour ne pas tomber tant j'étais épuisée. Le chef fut le premier à se lever, suivi presque aussitôt par les autres. Certains repartaient déjà en direction de leur habitation, mais le chef interpellait une dernière fois ses hommes. Il venait de leur demander quelque chose à laquelle ils ne s'attendaient visiblement pas étant donné leur mine d'abord contrariée puis ensuite effacée. Tous avaient échangé un regard sans donner de réponse. C'est seulement après un certain moment de silence que Chayton ouvrait la bouche pour dire quelque chose que je ne comprenais toujours pas. Cela eut pour effet de soulager les autres qui reprenaient leur chemin tranquillement. J'étais venue reposer mon regard sur le grand amérindien qui me regardait lui aussi, il me fit un bref signe de tête avant de tourner les talons pour s'éloigner. J'en conclus que cela signe signifiait que je devais le suivre, alors sans rien dire je m'exécutais et lui emboîtait le pas.
Nous avions traversé plusieurs allés de tipis avant que Chayton s'arrête devant l'un d'entre eux, il s'avançait pour ouvrir l'entrée. Pendant ce temps, je m'étais laissé distraire par les alentours, le village était de nouveau calme. Seul le bruit du vent dans les arbres et les hennissements des chevaux venait perturber le calme plat. L'ambiance était loin d'être celle dont on nous avait toujours parlé dans nos colonies, ils n'étaient pas que des sauvages vivants dans la violence quotidienne. Je l'avais toujours sue. C'était d'ailleurs la raison qui m'avait amenée ici ....
Soudain, un rire cristalline me fit sortir de mes pensées, une jeune femme aux cheveux infiniment longs et virevoltant légèrement au vent tenait la main d'un homme, elle semblait heureuse en sa compagnie. Lorsque je constatais qu'elle était en fait accompagnée de Wakiza, j'avais presque failli m'étouffer. Les deux tourtereaux étaient entrées dans un des tipis, leur nuit n'allait visiblement pas être longue. Je n'avais pu retenir une grimace en pensant à cet homme si détestable.
— À quel point faut-il être fou pour vouloir d'un tel type dans son lit ?
Les mots avaient dépassé ma pensée et mes paroles semblaient sonnées tellement fort dans un tel silence. Un raclement de gorge m'avait interpellé, c'était Chayton, il me regardait, un sourire en coin, j'imaginais qu'il avait entendu ce que je venais de dire. Pour autant il ne répliquait pas et me fit signe d'entrée dans l'habitation.
Le sol était recouvert de nombreuses couvertures, certaines faites de fourrures, d'autres en laine. Au milieu brûlait un feu, du moins il restait encore quelques braises rouges. Je fus étonnée de constater l'espace qu'il y avait, je pouvais me tenir debout, il y avait de quoi ce tourner, j'étais même sûre qu'il y avait plus de place ici que dans la chambre que je partageais avec ma sœur, Madeleine. Je m'étais toujours imaginée les tipis comme de petite tente étudiée juste pour y passer la nuit, finalement je m'étais totalement trompée.
Chayton avait réanimé le feu, une chaleur enivrante avait embaumé les lieux. Sans dire un mot de plus, le natif était allé se coucher sur un tas de couverture qui lui faisait office de lit. Je ne comprenais pas réellement ce qui se passait. Il y a quelques jours j'étais traquée par mon propre peuple, puis je m'étais retrouvée prisonnière d'une tribu amérindienne qui semblait vouloir se servir de moi comme monnaie d'échange et finalement je me retrouvais dans la tente de l'un d'entre eux. Je n'avais aucun lien autour de mes membres, j'étais libre et pourtant j'étais si perturbée par les événements que je ne savais que faire de cette liberté.
Le cerveau bouillonnant, je m'étais assise pour finalement me laisser basculer sur le côté afin de m'allonger sur une couverture en laine. Je regardais les flammes danser au milieu de la pièce circulaire tout en me ressassant inlassablement les épisodes des jours passés, puis mes paupières étaient devenues si lourdes que j'avais fini par être incapable de les maintenir ouvertes. Je m'étais finalement endormie.
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Omakiya (Aide moi)
Historical FictionEleanor était l'aînée de sa famille, née d'un père anglais et d'une mère française, l'union de ses parents n'avait d'ailleurs pas fait l'unanimité dans le petit village d'Angleterre où ils vivaient. Elle avait deux sœurs cadettes, Rose et Madeleine...