Chapitre 64

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277 jours avant.

Niall


L'absence de bruit, souvent synonyme de solitude et d'abandon, se révèle généralement plus terrifiante qu'il n'y paraît.

N'ayant pas été enfant unique, j'avais eu très peu d'occasions durant mes jeunes années de me retrouver confronté au silence, ce qui le rendait d'autant plus effrayant. Les souvenirs que j'avais de mes terreurs nocturnes, lorsque chaque craquement et chaque bruissement me glaçaient le sang, restaient très vivaces, même à ce jour.

Cependant, en grandissant, j'avais pu faire l'expérience de nombreuses sortes de silences, souvent moins angoissants que ceux de mon enfance.

A l'adolescence, j'avais connu mon premier amour et elle avait été sources de nombreux silences depuis son entrée dans ma vie.

Notre premier contact avait fait taire en moi toutes les inquiétudes liées à mon déménagement et à mon changement d'établissement scolaire. Mes yeux avaient rencontrés les siens et j'avais su que j'étais chez moi, comme je l'avais été pendant 17 ans à Mulingar.

Pendant plusieurs semaines, durant quelques heures, je trouvais le silence de sa chambre, bulle isolée du monde extérieur, et tentais de rester concentrer sur l'algèbre que j'étais sensé lui faire comprendre alors que tout chez elle me déstabilisait.

Nous avions passé les vacances dans la maison de campagne de ma famille, à Brighton, réputée pour son calme. Là, sur le sable, je l'avais embrassé pour la première fois. Les vagues s'étaient tues, le vent était retombé, mon cœur s'était arrêté. Pour la première fois de ma vie, je n'avais pensé à rien d'autre qu'à la seconde que j'étais en train de vivre. Mes doigts sur sa peau, mes lèvres sur les siennes, le reste n'avait pas d'importance. Pourtant, je ne m'étais jamais senti aussi vivant avant ce baiser.

Je n'avais pas d'explication rationnelle concernant l'effet qu'elle me faisait, mais je n'avais jamais essayé d'en trouver une. Je m'étais contenté de subir et de profiter comme il se devait de ce silence apaisant qu'elle créait dans ma vie. Elle mettait mes pensées sur pause, mes inquiétudes en mute, mes raisonnements en suspend. Pendant neuf mois, elle était entrée dans mon système, c'était glissée dans mes veines et avait fait de moi quelqu'un de meilleur, de ma vie quelque chose de mieux.

Et soudain, silence radio.

Le silence tendre et apaisant qu'elle avait instauré s'était transformé en quelque chose d'assourdissant. J'avais perdu mes repères en pensant agir au mieux. Elle avait disparu de ma vie, et de celle de dizaines d'autres personnes. J'y avais longuement songé, durant ma première nuit d'insomnie. Il n'y avait pas que moi, Conor et Kay à prendre en compte dans l'équation de son implosion. Il y avait sa famille, la mienne. Il y avait ces personnes qui ne l'avaient encore jamais rencontrée, mais qui ne manqueraient pas de tomber sous son charme. Un boulanger, un prof, un passant, un ami, un amant, peut-être. Par ma faute, toutes ces personnes inconnues n'auraient jamais le privilège de rencontrer ses yeux océaniques.

La deuxième nuit d'insomnie, je l'avais passée à réaliser vraiment ce que signifiait son absence au lycée. Peut-être qu'elle ne voulait pas me voir, mais Conor et Kay étaient là. Peut-être qu'elle ne voulait voir aucun de nous, mais l'éducation est une obligation. J'avais été de supposition en supposition jusqu'à me retrouver assis, la tête dans les mains, mon téléphone posé sur ma cuisse, prêt à l'appeler juste pour qu'elle me raccroche au nez. Juste pour pouvoir dire à son meilleur ami qu'elle était en vie, que j'avais peut-être bousillé son sourire, mais pas son futur.

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