9 | Le Q.G

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« J'espère que tu plaisantes, là, Thalia. »

       Il n'y avait plus aucune trace de sourire dans son expression ; Dave était plus grave que je ne l'avais jamais vu, les sourcils froncés d'incompréhension, les lèvres serrées et une main dans les cheveux.

« Mais non, je te jure ! m'exclamai-je. Il est même vraiment beau ! »

Information très utile, merci de nous partager ceci, Thalia.

« Attends, Thalia, c'est vraiment sérieux. Je ne crois pas qu'il se soit déjà montré à qui que ce soit auparavant. Je retire ce que j'ai dit, t'es vraiment pas une lumière, finalement ! »

       Je restai bouche bée. Je pensais qu'il se montrait à tous ceux qu'il acceptait.

« Mais pourquoi se serait-il montré à moi et pas aux autres ? Je ne comprends pas ! Je pensais que c'était une sorte de test, tu sais, pour voir si on réagissait à sa... à sa cicatrice », soufflai-je.

       Dave me regardait avec incrédulité.

« Une cicatrice.. Quelle cicatrice - attends. Il s'est montré à toi. Il s'est montré à elle.. reprit-il dans sa barbe. Qu'est ce qu'elle a bien pu foutre pour ça ? »

       Il continua à baragouiner, et je ne pus comprendre que sa dernière phrase, qu'il lâcha d'un air éperdu.

« Mais bordel... qu'est ce que t'es, Thalia ? »

        J'appréciai d'être soit comparée à un objet, soit à un extraterrestre, mais je ne relevai pas. Le moment était bien trop grave. Dave se laissa tomber sur le canapé et emprisonna sa tête entre ses mains.

        Je l'appelai avec douceur :
« Dave ? »

        Il grogna.

« Pourquoi penses-tu qu'il s'est montré à moi ? »

        Il releva la tête, et me regarda droit dans les yeux avec une gravité extrême.

« J'en sais rien. Mais c'est soit très bon, soit très mauvais signe. »

        Abattue, je m'assis à ses côtés et laissai ma tête tomber sur le coussin. Je me frottai les yeux, exténuée. Nous étions le lendemain de ma rencontre avec Ilhan. J'avais passé toute la semaine précédente à préparer mes faux papiers et les arguments que Dave avait utilisés pour convaincre Ilhan de me faire passer un entretien.

       Je savais qu'il ne me restait plus que deux options, mais chacune d'entre elles me demandait de renoncer totalement à mes réelles émotions ; je devais me fiancer avec Dave pour que notre relation paraisse suffisamment vraisemblable aux yeux d'Heraí, ou je devais fausser un amour naissant à l'égard de ce dernier.

       Je devais oublier Samir. C'était le seul moyen. Je devais oublier ses sourires, la beauté de son visage et de son âme, je devais oublier son humour et le goût de sa peau, je devais oublier ses lèvres et les rides de bonheur au coin de ses yeux. Je devais oublier sa voix grave et son amour. Je devais oublier Samir, et je devais oublier une partie de moi.

       Il fallait que la raison prenne le dessus sur le cœur. Et pour cela, je ne voyais qu'une solution. Trouver Kyhan et négocier pour obtenir un flacon de sérum d'oubli.

[...]

       Kyhan était un ami d'enfance. Quand j'avais quitté la terre ferme pour la rébellion, il était resté. Il savait que son « commerce » avait plus de chance de survivre en bas.

       Nous avions été à l'école ensemble, puis il avait suivi des études supérieures d'un niveau extrême ; les gens qui parvenaient à être sélectionnés dans cette filière savaient qu'ils auraient une vie privilégiée. Tous les grands se les arracheraient, tant les inventions de leurs cerveaux avaient de valeur.

       Il avait fini brillamment ses études, et commencé à réaliser des travaux sur le cerveau et la technologie qui s'en mêlait. Très vite, il avait créé un sérum d'oubli, ce qui avait été acclamé par la communauté scientifique au complet — "si jeune, si compétent, l'avenir de la science" disaient-ils.

      Mais Kyhan était un esprit indépendant, et il refusa de s'associer à quiconque, même lorsqu'Ilhan monta au pouvoir et lui fit une offre mirobolante. Il se fit auto-entrepreneur de manière peu légale, et depuis, il vendait sur la marché noir ses produits sans que quiconque ne lui dise quoi que ce soit — il était bien trop précieux. Malgré son refus de s'associer à Ilhan seul, il fournissait le gouvernement régulièrement. Cela lui servait d'assurance vie, en quelque sorte. 

       Ma propre mère avait eu recours à ses services, lorsque mon père avait perdu la vie dans une exécution sommaire. Elle n'aurait jamais supporté sa mort sans ingérer ce sérum. J'avais ainsi été convaincue de son efficacité, et j'étais également convaincue du fait que Kyhan m'aiderait comme il le pourrait.

       Il ne me restait plus qu'à le trouver.

[...]

« Alors, voilà le quartier général », lança Dave en désignant de son bras droit une ancienne bâtisse aux pierres grisâtres.

       Deux colosses couverts de noir de la tête au pied se tenaient devant l'entrée du Q.G. Lorsque Dave s'avança vers eux, un bip strident retentit, et ils s'écartèrent au même moment que la porte s'ouvrit. Ce dernier posa sa main contre mon dos, et expliqua aux gardes :
« C'est ma compagne. Notre maître l'a acceptée en tant que stagiaire. »

       Ils inclinèrent simultanément la tête dans un mouvement à peine perceptible, mais me laissèrent passer avec Dave au travers de l'entrée.

      Tout respirait l'opulence dans la pièce dans laquelle nous venions de pénétrer, du marbre qui recouvrait le sol au délicats ornements en or sur la rampe de l'escalier.

      Un homme à l'allure hautaine descendait ce dernier ; grand, aux cheveux poivre et sel, vêtu d'un costume plus noir que la nuit, il avançait le menton haut et les sourcils haussés.

     Dave passa un bras autour de mes épaules et me rapprocha de lui dans une attitude protectrice. Je faillis me dégager brusquement, mais je me rappelai à temps que j'étais censée être sa petite amie.

INTEBIANOù les histoires vivent. Découvrez maintenant