29 | Les décisions

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Je passai mes mains dans ses cheveux blonds et l"attirai encore plus près de moi. Son regard bleu glacier planté dans le mien me faisait frissonner. Des larmes avait perlé sur ses cils et en étaient encore prisonnières.

« Oui. Il ne pourra plus me faire du mal. »

L"étreinte des bras de Dave autour de ma taille se resserra.

« Mais il a déjà tenté de le faire, et d"autres viendront. Si quelqu"un est suffisamment déterminé à te tuer qu"il engage un mercenaire pour le faire, rien ne l"empêche d"en employer d"autres. »

Je n"étais qu"à moitié surprise que Dave ait deviné que c"était un mercenaire. Ceux qui voulaient tuer, de nos jours, c"était les puissants, et c"était bien connu, les puissants ne se salissaient jamais les mains.

« Je vais retrouver ceux qui ont organisé ton meurtre, et crois-moi, ils vont souffrir. Je connais tous les mercenaires du continent, ils ne pourront pas se cacher du dirigeant de la 5. »

La haine ruisselait dans ses propos et je réalisai que je ne l"avais jamais vu aussi déterminé. Comme à chaque fois qu"il était en colère, les veines sur son front étaient apparues et battaient au rythme de l"adrénaline qui se diffusait dans tout son corps. Son corps était tendu, ses muscles bandés, et dans ses yeux brillait une lueur qui me rassurait autant qu"elle me faisait peur. Il était clair qu"à partir de ce moment-là, Dave se tenait garant de ma survie, et qu"il n"hésiterait pas à décimer toutes les personnes qu"il fallait pour y parvenir. Ce n"était pas une étincelle meurtrière qui illuminait son regard, c"était seulement une flamme de détermination. Et cette flamme-là venait de signer des arrêts de mort.

Kyhan s"était lui aussi levé. Encore au creux de l"étreinte de Dave, j"étais la seule à lui faire face, mon menton posé sur l"épaule de mon compagnon. Dans ses yeux je lisais de l"inquiétude, pour la première fois depuis que nous nous étions retrouvés.

« Tu es sûre que ça va aller, Thalia ? Tu es sûre de vouloir faire ça ? »

Je hochai la tête précipitamment.

« Vraiment certaine ? Parce que ça fait la masse de choses à porter quand même ! Oublier ton gars, ça veut dire avoir un gosse dont tu connaîtras rien du père... En plus de tout le reste qui doit déjà te peser... »

Je secouai à nouveau la tête vigoureusement, et me défis de l"étreinte de Dave avec douceur. Je lui attrapai la main et lui pressai les doigts pour lui faire sentir que j"étais toujours avec lui bien que mon regard soit porté sur autre chose. Ma décision était prise.

« Oui, je suis sûre, Kyhan. Vraiment. C"est essentiel de le faire avant que je ne me mette à travailler pour les plus hautes sphères du gouvernement. »

Bien que nous ayons été relativement protégés par l"environnement bruyant et l"absence de caméras dans le bar, je me refusais à perdre toute notion de précaution en évoquant le nom du chef. Kyhan souffla un grand coup.

« On fait ça quand ? »

Je resserrai ma main autour de celle de Dave alors que je répondais.

« Demain. »

[...]

Des frappements réguliers de rangers sur le sol métallique du couloir firent sursauter Samir. Voilà bien longtemps qu"un groupe important de soldats avait visité la prison pour la dernière fois. Les tours de garde se faisaient de plus en plus espacés et les bruits dans le couloir de plus en plus rare. Samir était persuadé que Jordan préparait une nouvelle mission de grande envergure. L"excitation s"empara de lui à l"idée qu"on puisse venir le chercher. Il le savait, il l"avait toujours su ; Jordan aurait besoin de lui un jour ou l"autre.

Le beau brun trépignait d"impatience ; il rêvait d"entendre à nouveau une vraie voix lui parler. Même lors du repas journalier jeté dans la cellule, il n"avait pas l"occasion d"entendre les voix de ceux qui le servaient. Il avait tenté, plusieurs fois, de leur adresser la parole, mais jamais on ne lui répondait. C"était la règle ; les prisonniers n"avaient droit à aucun contact. C"était une règle abominable, mais sous la direction de Jordan, tout le monde marchait au pas.

Samir était un militaire. Il comprenait ces règles ; la rigueur était un des moyens les plus sûrs de tout garder sous contrôle. Il comprenait les règles, mais il ne les supportait pas. La règle de silence était la plus difficile à supporter de toutes celles appliquées aux prisonniers. Maintenant, il entendait des voix de manière quasiment permanente, et lorsqu"elles lui donnaient un bref répit, c"était seulement pour qu"il se rende compte des acouphènes qui venaient lui bourdonner dans les oreilles. Il lui arrivait souvent d"avoir des visions au cours de la journée.

A ce moment précis, Thalia était présente dans la cellule. Samir était debout, collé contre la porte, à l"affût du moindre bruit qui lui indiquerait sa libération, et il la sentait à côté de lui. Au cours du premier mois de son emprisonnement, il avait pris la décision de ne pas s"allonger dans son lit lorsqu"il ne dormait pas ; il s"était rendu compte qu"il était incapable d"y trouver le sommeil la nuit s"il y passait la journée.

Cela lui avait permis de limiter les hallucinations, au début. Alors, à la place, il déambulait dans la minuscule pièce, y tournait en rond entre le matelas et la haute porte au contact glacial. Parfois, lorsqu"un accès de colère ou de folie l"envahissait, il reprenait l"entraînement sportif qu"il avait suivi au-dehors de la cellule, et il donnait tout de lui, jusqu"à ce qu"il s"écroule au sol, le corps recouvert de sueur, la bouche sèche et une faim de loup intenable qui lui tiraillait le ventre.

Mais ce jour-là... ce jour-là s"annonçait être un bon jour. Thalia lui tenait compagnie, il la voyait du coin de l"œil lui sourire, et il entendait le bruit des pas se rapprocher. L"espoir lui retournait l"estomac. Il était prêt à sortir, oh oui, il était plus que prêt. Le claquement des semelles sur le sol s"arrêta soudainement et un rire hystérique le prit alors qu"on ouvrait la porte de la cellule dans laquelle il croupissait depuis cinq mois.

INTEBIANOù les histoires vivent. Découvrez maintenant