N O T E D E L ' A U T E U R E :
Commencez la musique à 4 minutes 44.
[...]
Adrian avait refermé les boucles de la camisole autour des anneaux qui parsemaient le siège. Puis Samir vit au travers des portes vitrées une femme toute de blanc vêtue et munie d"un petit sac à main apparaître dans le couloir. Jordan ne se retourna pas lorsqu"elle ouvrit la porte, le regard fixé sur Samir comme s"il avait peur qu"il s"évapore, et elle passa devant lui sans s"attarder non plus. Elle sortit une paire de ciseaux aiguisés de son sac et Samir eut peur qu"elle ne tente de l"ouvrir ainsi.
Heureusement pour lui, l"infirmière aux cheveux flavescents se contenta de découper un carré de tissu sur la manche de la camisole, au niveau du creux du coude. Elle ouvrit ensuite une porte dissimulée dans le mur que Samir n"avait pas repérée, et en sortit un support à perfusion. D"un geste habile, elle planta un cathéter dans le bras du jeune homme, puis le raccorda à la poche souple de la perfusion, remplie d"un liquide dont Samir ignorait l"utilité. C"était sans doute un poison qui allait le faire mourir dans d"atroces souffrances pour avoir osé s"en prendre à Jordan.
Il n"avait pas bougé d"un cheveu tout le long de l"opération. La douleur vive qu"il avait ressenti à l"insertion du cathéter s"amoindrissait de plus en plus. En revanche, il sentait le liquide froid et étranger courir ses veines, et il avait l"impression de glacer de l"intérieur. Jordan, enfin, s"était rapproché de lui. Il y avait quelque chose de gratifiant dans le fait que l"homme le plus puissant de la base tenait ses distances avec lui de peur de se faire sauvagement attaquer. Samir, au creux de sa camisole, se sentait terriblement puissant, et c"était un sentiment si doux qu"il en ferma les yeux pour le savourer.
Lorsqu"il les rouvrit, Thalia était de retour à ses côtés. Elle avait posé sa main sur la sienne, et pour un peu, Samir aurait cru réel le contact sur sa peau brûlante de fièvre. Elle lui souriait de toutes ses dents et Samir comprit que l"espoir était de retour. Et pourtant, l"apparition de Thalia avait émergé avant les paroles de Jordan, comme si au fond, Samir savait que tout n"était pas encore fini. Jordan s"était penché près de l"oreille de Samir après avoir congédié l"infirmière et les gardes dans le couloir. Samir les voyait faire des rondes régulières.
Le souffle du dirigeant sur sa peau lui donnait des frissons et pourtant, Samir était partagé entre le dégoût et une excitation folle. Il sentait que les paroles qu"il allait entendre se répandraient en lui comme le poison et que peut-être, ce seraient les dernières qu"il entendraient.
Jordan avait une voix plate, comme si ce dont il parlait était purement banal.
« Le liquide qui se répand dans vos veines est mortel. Il lui faudra moins de trente-six heures pour venir à bout de vous. »
Le sourire de Thalia donnait à Samir le sentiment d"être tout puissant. Il ricana, une fois de plus, et pour la première fois, Jordan craint que son état mental ne soit réellement altéré. Le jeune homme regardait dans le vide à sa droite, avec une béatitude sur le visage qui semblait tout sauf normale pour un condamné à mort.
Soudain, le brun tourna la tête vers Jordan, et le visage toujours fendu d"un large sourire, demanda :
« Et qu"est-ce que vous voulez que je fasse de cette information ? Je n"en ai rien à faire, je suis mort, de toute façon. »
Jordan le contempla un instant, hésitant. Puis il finit par prononcer ces mots, les lèvres pincées.
« Non, vous ne l"êtes pas. Du moins, pas encore. »
Se sentant plus que jamais déterminé à braver l"autorité, Samir s"exaspéra:
« S"il ne me reste que trente-six heures, pourquoi venez-vous les gâcher en me racontant des choses dont je n"ai strictement rien à foutre ? »
Les joues de Jordan se colorèrent du rouge soutenu de la colère.
« Si vous acceptez de participer à une mission sur Terre, je vous injecte l"antidote. »
Le commandant de la Résistance se releva en passant une main dans ses cheveux poivre et sel, une couleur devenue si rare qu"elle en était vénérée.
« Je vous laisse vingt-quatre heures pour réfléchir, soldat. Si je dépasse, disons, accidentellement, le délai nécessaire pour vous procurer le sérum, vous payerez votre trahison au prix fort. J"ose recevoir de vous les signes qui me détermineront à vous donner une autre chance au sein de nos rangs. »
Jordan retira un mouchoir de sa poche et le laissa imprimé quelques instants sur le nez de Samir.
« En attendant, bonne nuit », jeta-t-il d"un ton méprisant avant de tourner les talons dans un geste dramatique.
Progressivement, tout devint flou autour de Samir. Ne restait que la présence de Thalia et la luminosité brûlante du lustre qui s"était imprimé sous ses paupières. Il poussa un couinement de douleur et tout était noir.
[...]
Le bruit des balles. Les corps qui tombent, les cris de douleur, et pourtant, le silence assourdissant entre chaque nouvelle détonation. Le sang qui coule, coule sur le sol pavé, qui coule jusqu"à atteindre son petit corps recroquevillé sur le sol. Les gémissements de douleur, l"odeur métallique du sang, l"odeur doucereuse de la poudre, l"odeur infâme d"urine et de défécation qui monte aux narines. L"odeur de la transpiration des personnes autour de lui, l"odeur de la peur. L"odeur des proies qui se font abattre les unes après les autres, impuissantes.
Slash.
Ses grands yeux noisette qui papillonnent. Le sang poisseux qui dégouline de sa bouche sur son menton, son regard qui se perd dans les étoiles et qui n"en redescend plus, ses doigts qui cherchent à attraper ceux du garçon. Sa main d"albâtre qui mène celle de son frère vers son ventre, qui lui fait percevoir la vie qu"elle porte, et qui s"éteint en même temps que la sienne. Le sourire délicat qui vient pour la dernière fois effleurer ses lèvres écarlates. Les doigts qui se resserrent une dernière fois autour de ceux du garçon, les paupières qui battent pour la dernière fois, un dernier râle qui vient clore une bouche et une existence.
Slash.
Le liquide translucide qui ne paye pas de mine dans le verre. Les doigts de la femme d"âge mûr qui tremblent. Un dernier sourire vacillant. Les larmes du garçon. La gifle du père. La douleur qui lui brûle la joue. Le sourire d"encouragement de l"adolescente au bord des larmes. La peur qui les prend tous les deux. Le mouvement vif du bras. La déglutition. Les bras qui retombent le long du corps, les yeux qui se ferment. La main de l"homme qui serre celle de la femme. La même main qui empoigne le verre. Les membres tremblants du garçon qui veut empêcher le geste mais dont la douleur de la gifle empêche de faire un mouvement. Le verre porté aux lèvres. Les yeux qui se révulsent et le silence.
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INTEBIAN
Science FictionDans un monde tombant en ruines où la misère et les exécutions font partie du quotidien, sept factions sous l'autorité d'un dictateur sanguinaire contrôlent et formatent la moindre pensée en tenant le peuple par les technologies, la terreur et la di...