L'écran en face de moi affichait des remous colorés, comme si on avait peint un cours d'eau en violet irisé. Je savais qu'Ilhan se trouvait derrière ; Dave m'avait prévenue. Je savais que je n'avais qu'une seule chance. Je devais le convaincre. Si ce n'était pas le cas, je mourrais en ayant été totalement inutile à la cause, ce qui m'était une idée insoutenable.
J'avais été sidérée de voir que Dave avait pu obtenir un rendez-vous avec le dirigeant en moins d'une semaine. Il devait avoir de bons contacts. Tout de même, la manie d'Ilhan à tester personnellement tous ceux qui voulaient entrer dans les rangs des factions était visiblement la stratégie gagnante.
Des lettres apparurent sur l'écran.
QU'EST-CE QUI VOUS POUSSE À DEMANDER UNE PLACE DANS MES FACTIONS ?
Je n'hésitai pas une seconde :
« L'amour. »QUELLE EST LA RAISON DE VOTRE AMOUR À L'ENCONTRE DU FACTIONNAIRE DAVE ?
« La raison m'est inconnue. Je sais seulement que de regarder suffit à me faire ressentir des choses que je n'aurais jamais cru pouvoir ressentir. Je sais que vous ne pourriez pas comprendre sans le voir de mes yeux ou d'avoir vécu ce genre d'amour passionnel. Je crois enfin avoir trouvé le véritable amour. Chaque regard que je lui jette me plonge encore un peu plus dans la passion, et pourtant ce n'est pas faute de le regarder. Cet homme est une oeuvre d'art à mes yeux. Son corps est modelé comme celui d'un dieu Grec, ses yeux sont des joyaux et sa bouche est la douceur incarnée, mais s'il me fallait seulement vous faire l'éloge d'une chose chez lui, ce serait son âme. Il n'existe pas de plus belle personne sur Terre. »
Tout le long de mon discours, j'avais fermé les yeux, et imaginé les traits de Samir se superposer à ceux de Dave. Dave était en effet un homme magnifique, mais c'était mon amour pour Samir qui s'était exprimé.
Comme d'habitude, mes joues avaient fortement rosi à la mention de celui que j'aimais. J'avais retenu les larmes qui menaçaient de me noyer, en espérant qu'Ilhan prendrait l'humidité de mes prunelles pour des larmes de ravissement en imaginant le corps de rêve de Dave lors de ma description, comme la stupide pimbêche superficielle que j'étais censée être.
Malgré cette erreur de parcours, j'avais moi-même été convaincue par mon discours ; dans ma voix, j'avais mis tout ce que je ressentais à l'égard de Samir, et ce n'était pas mentir que de dire que je l'aimais plus tout.
[...]
Après avoir déblatéré cinq bonnes minutes sur Dave, je devais passer à la deuxième partie de mon discours : la description de mon admiration face à tout ce que ce cher Ilhan avait su réaliser.
J'affirmai d'une voix assurée que j'étais époustouflée par les idéaux qu'il avait pu véhiculer au cœur de sa documentation (pour ne pas dire propagande), et admirative de l'intelligence qu'il devait posséder pour avoir réussi à asseoir son autorité sur la Terre entière. Je me dis également admirative du charisme dont il faisait preuve lors de ses messages radio-diffusés ; je fis semblant d'avouer qu'il avait une diction et un timbre de voix tellement agréables qu'eux seuls avaient su me convaincre d'adhérer à ses idées.
Puis j'annonçai ma décision de renoncer à tout ce qu'il me demanderait pour le servir.
Lorsque je me tus, un bruissement se fit entendre de l'autre côté, et je compris qu'Ilhan était en train de se lever quand je perçus le craquement d'un siège en bois. Un bruit de pas vint rompre le silence de manière rapide et régulière, puis on déverrouilla une porte et cette dernière fut refermée sèchement.
Je jetai un coup d'œil autour de moi, cherchant du regard un quelconque signe d'un soldat venu pour me faire sortir de la salle d'audience, mais personne n'était là. Alors je me rongeai les ongles, nerveuse, dans l'attente de l'apparition de la porte - la spécificité de la salle étant qu'elle n'avait pas d'issue, mis à part cette porte qui semblait se matérialiser selon le bon vouloir d'Ilhan.
L'écran qui nous avait séparés, tout à l'heure d'un violet électrique, avait depuis pris une teinte bleuâtre, et un symbole doré se dessinait progressivement en son centre.
Au moment où je commençais à l'observer en tentant de déterminer ce qu'il pouvait bien représenter, j'entendis la porte se dessiner, et je sentis clairment une présence apparaître dans la salle. Je n'osai pas me retourner, de peur que ce ce soit Ilhan.
Je ne respirais plus. Je sentais mes battements de coeur accélérer dans mes jugulaires, et je m'efforçai de les espacer le plus possible. C'était Ilhan, il n'y avait plus aucun doute à avoir, c'était lui. Personne d'autre n'avait cette aura. J'entendis ses pas le rapprocher de moi jusqu'au moment où je sentis son souffle brûlant dans ma nuque. J'eus la preuve de son identité lorsque sa voix, que j'avais tant de fois entendue sur les ondes que nous
espionnions et qui était bel et bien charismatique, vint me chuchoter ces mots :
« Êtes-vous réellement disposée à tout perdre pour moi ? »
Dans un sursaut intérieur effrayé mais néanmoins amusé, je me dis que Samir aurait sûrement sous-entendu qu'il souhaitait me faire perdre ma virginité.
Reprenant une contenance, je soufflai :
« Oui, monsieur. »D'une main douce, il repoussa ma chevelure de mon épaule droite, puis il y posa son menton, et mon corps frémit. C'était plus fort que moi. Il m'impressionnait. J'espérais qu'il n'avait pas ressenti mon frisson. Bien que je ne le voie toujours pas, puisqu'il était resté placé derrière moi, je sentais ce qu'il était. Je n'avais pas besoin de voir son visage pour cela.
Ce qui me faisait peur, c'est que je ne pouvais me retenir, maintenant que j'étais face à lui, ou plutôt qu'il était contre moi, de lui chercher une part d'humanité. Il m'était impossible de concevoir qu'un homme pouvait avoir commis tant de crimes. J'étais naïve, oh, naïve et surtout tellement idéaliste.
« Serais-tu prête à te battre... à mourir pour moi ? »
Je remarquai qu'il me tutoyait et qu'il avait maintenant le torse collé contre mon dos. Je me raidis. Il s'était rapproché de moi à la fois par le langage et par les gestes, et je me demandai si c'était un moyen de nous enfermer encore plus dans son emprise certaine sur nos consciences.
« Oui, monsieur », répétai-je docilement.
Il posa ses deux mains sur mes épaules, puis lentement, me fit pivoter. Je fermai les yeux. J'avais peur de le voir.
« Regarde-moi », m'ordonna-t-il.
Avec appréhension, j'ouvris les paupières, puis les clignai pour que mes yeux fassent la mise au point. Son visage était à l'image de sa voix : charismatique. Brun aux yeux ambrés et à la peau mate, il avait ce charme inexprimable et perturbant qui nous fait détourner les yeux. Un seul élément venait perturber le tableau parfait que j'en peignais. Une cicatrice traversait sa joue gauche, de sa pommette à la commissure de ses lèvres pulpeuses.
Ma main partit dans un geste réflexe vers son visage, pour l'examiner et tenter de trouver un traitement approprié. Malgré moi, une larme perla et se perdit dans mes cils.
Ilhan eut un sourire satisfait.
« Dave sera ton mentor. »
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INTEBIAN
Science FictionDans un monde tombant en ruines où la misère et les exécutions font partie du quotidien, sept factions sous l'autorité d'un dictateur sanguinaire contrôlent et formatent la moindre pensée en tenant le peuple par les technologies, la terreur et la di...