34 : La mission-suicide

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La jeune fille se tenait bien droite face à la glace. Le docteur lui papillonnait autour, prenant des mesures de sa taille, de sa tension et de son poids. On lui avait souvent fait la remarque qu"elle était belle - elle recevait d"ailleurs habituellement des avances de la part de différents habitants de la base. Mais elle n"aimait pas cette beauté, qui empêchait les gens d"aller chercher au-delà de son apparence. Si Maria était une fille calme, c"était parce que le tumulte qui régnait à l"intérieur d"elle prenait toute la place. Elle était avare de paroles, et plutôt que de la faire paraître sage (car elle l"était) aux yeux de ceux qu"elle côtoyait, ce silence n'était considéré que comme une façade censée la rendre mystérieuse.

Maria était discrète mais au fond d"elle brûlait un feu que seul Jordan avait été capable de voir. La solitude et la colère qu"avaient provoqué la disparition de ses parents, la jeune fille avait tenté tant bien que mal de les effacer par de longues heures de défoulement physique, mais elles s"étaient accrochées voracement à son squelette. Maria avait la haine contre ce que les gouvernements avaient commis, elle avait la haine contre ses parents qui avaient pris part à leur stupide idée sans rechigner, et par dessus tout, elle avait la haine contre Ilhan qui salissait leur mémoire à coup d"attentats et de destruction.

Cet homme avait détruit le sacrifice de toute une génération, et Maria avait bien l"intention de le lui faire payer. Pourtant, Maria était jeune ; elle n"avait connu que dix-sept années. Elle faisait malgré tout partie des vétérans de la Résistance. Et Jordan lui faisait confiance. Lui qui avait été un père pour elle, comme il avait été un père pour tous les gamins abandonnés qui se noyaient littéralement dans le chagrin et l"impuissance. Lui qui leur avait donné une chance de se venger, de reprendre le pouvoir dans leur existence et de la dédier à une cause qui leur semblait juste.

Jordan avait été le seul à voir au-delà de l"apparence qu"elle avait lorsqu"elle avait rejoint la Résistance, celle d"une adolescente adorable qui n"était malgré tout qu"une bouche à nourrir de plus et qui ne semblait pas apte au combat. Mais Jordan acceptait tout le monde ; les vieux, les éclopés, les gamins. Les survivants, en définitive. Il leur avait trouvé à tous une utilité et redonné une raison de vivre. Jordan était autoritaire et extrêmement exigeant, mais la Résistance ne devait sa réussite qu"à lui seul. Il était le fondateur, et Maria était prête à mourir sous ses ordres.

Ses cinq années au sein de la Rébellion l"avaient formée et elle avait désormais un physique que n"importe quelle jeune femme aurait pu envier. Ses muscles roulaient sous sa peau sans lui donner cet air pataud que certaines personnes tiraient de ces derniers ; non, sa musculature mettait en valeur sa silhouette tonique en l"enveloppant d"une élégance certaine.

   La jeune fille s"était souvent entraînée aux côtés de celui qui l"accompagnerait en bas et toute à propos duquel toute la base jasait. Samir, son futur binôme, l"avait toujours impressionnée, et presque effrayée. Dans la salle de sport, il avait cette allure taciturne qui intriguait le monde, mais à laquelle personne n"osait se confronter. Même à l"acmé de l"effort, il n"y avait pas un son qui franchissait ses lèvres. Il était si silencieux que si les résistants ne l"avaient pas vu parler avec sa compagne, ils l"auraient pensé muet. Le jeune homme au teint mat venait toujours seul, à des horaires totalement aléatoires, et Maria, qui passait des heures à la salle, se surprenait souvent à le regarder distraitement au milieu de ses séances.

Il était par-dessus tout connu pour sa relation avec l"un des généraux, une femme avec qui il serait arrivé dès le premier jour de la Résistance, mais il n"était pas rare qu"il soit au centre des conversations en raison de son physique avantageux. Maria se disait qu"elle avait cette dilection pour lui parce qu"il connaissait le même regard que les gens portaient sur elle.

   Quand Jordan lui avait annoncé qu"elle partirait en mission avec lui, elle avait senti un mélange d"appréhension et d"excitation lui remuer les entrailles. Après tout, c"était un traître, et même si Jordan n"avait pas dévoilé les raisons de son internement, Maria se doutait qu"il avait commis une faute extrêmement grave pour avoir été condamné. Mais la jeune fille était incroyablement curieuse de sa personne. Elle voulait découvrir le jeune homme comme elle aurait aimé qu"on prenne le temps de la découvrir elle.

Lorsque le docteur lui fit enfiler la combinaison de néoprène, elle ferma les yeux un bref instant, la tête rejetée en arrière. Il était temps de faire ses preuves. Cette mission était un cadeau du ciel, elle qui espérait depuis si longtemps être envoyée sur Terre. Elle se mordit la lèvre à l"idée d"être entourée des pointures qu"étaient Samir et les deux autres généraux. Elle se demanda si elle allait apprendre leurs noms au cours de la mission ; personne hors de leurs proches ne les connaissaient, pour une question de sécurité. La curiosité la consumait, mais ce qui primait sur toutes ses émotions, à cet instant présent, c"était le désir de vengeance. Elle sentait la flamme en elle être ravivée par le vent du changement jusqu"à se transformer en incendie.

La peur qui se réveillait en elle lentement mais sûrement lui fit passer la main sur l"abraxas pendu à son cou dans un geste réflexe. La sensation qu"obtenaient ses doigts en passant d"une entaille à une autre plus ou moins profonde lui était familière et rassurante. Elle dissimula la pierre dans l"encolure de la tenue, identique à celle qu"on avait fournie à Thalia lors de sa propre descente sur Terre. Aujourd"hui, l"existence de Maria empruntait un virage à 360 degrés, et la jeune fille était plus déterminée que jamais à embrasser ce que lui offrirait le destin dans ce qu"avait qualifié Jordan de mission-suicide.

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