8 | La larme

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       Après réflexion, je me dis que cette larme était peut-être ce qui l'avait convaincu ; si je me faisais du souci pour lui, j'étais sans aucun doute une admiratrice. Il avait tort. J'étais simplement faible. Trop faible.

       En tout état de cause, j'avais réussi.
Je ne pouvais faire part de cette victoire à Jordan. Nous avions pris la décision de ne pas communiquer du tout le temps de ma mission, dont personne en dehors de lui-même, Dave et moi n'étions au courant. Nous ne pouvions risquer d'être repérés.

        Cette mission était bien trop importante. J'étais livrée à moi-même, je ne pouvais demander à Dave de m'aider, il avait déjà suffisamment de pain sur la planche. Je devais, par mes propres moyens, me débrouiller pour passer du grade de second de Dave à second d'Ilhan. Ce qui représentait devoir gagner deux échelons. Tout en sachant que le premier comme le second étaient inaccessibles.

[...]

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Journal de Samir

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Thalia ne peut pas avoir fait ça. Je n'y crois pas. Je n'y crois pas. Ce n'est pas possible. J'aurais préféré qu'on me dise qu'elle était morte, comme à tous les autres. Thalia ? Aller de plein gré rejoindre Ilhan ? Je n'y crois pas. Jordan me ment. Elle est morte, et il veut m'éviter de souffrir en me laissant penser qu'elle est encore en vie.

Thalia ne peut pas avoir fait ça. Elle le déteste tout autant que moi ! C'est juste impossible. Si Jordan croit que je vais rester ici alors qu'elle est en bas, il rêve. Un jour ou l'autre, il y aura une mission en bas, et ce jour-là, si elle est vraiment en vie, je la retrouverai.

[...]

« Woah, ton appartement est vraiment dégueulasse », gémis-je à l'intention de Dave en passant un doigt sur la commode poussiéreuse placée dans l'entrée.

« T'as qu'à le nettoyer ! T'es bien ma femme, non ? » plaisanta-t-il.

       Je le rejoignis dans le salon et lui donnai une tape sur la tête. Je me fichais de savoir si c'était un comportement correct ou non envers une personne que j'avais rencontrée huit jours plus tôt.

« Je vois que j'ai affaire à une féministe, regretta-t-il en se frottant le crâne là où je l'avais frappé.
— Désolée de te décevoir, mais j'ai pas l'intention de me laisser dicter ce que je dois faire par un mec, ni par qui que ce soit tout court, d'ailleurs.
— Hahaha ! rit-il. La bonne blague. Et Ilhan ? Tu comptes lui résister ? »

       Je le regardai de travers, sachant très bien que je ne pourrai rien lui opposer à cette réponse.

« C'est une exception. Et je le fais pour mieux me libérer ensuite. »

       Son air amusé ne disparut pas de la journée. Dave était un gars simple, et sympa. Il était évident qu'il avait souffert de son isolement, et sa compagnie se prouvait infiniment réconfortante.

      Vers vingt heures, affalée sur le canapé, je l'interpellai :
« Sinon, tu comptes me former un jour, ou pas ? »

      Il sortit la tête de la cuisine (il avait bien compris que je ne cuisinerai pas ce soir-là, rien que pour le principe).

« Demain. Je t'emmène au Q.G. et je te donne le travail journalier, puis je te forme aux entraînements physiques que tu devras réaliser régulièrement. Et crois-moi, gloussa-t-il, toi qui veux être à l'égal des hommes, tu souffriras du même traitement. »

      Je ris et je lui rappelai :
« Je suis prête à tout. »

      Avec un sourire satisfait, il répliqua :
« Tant mieux, t'auras besoin de détermination. Surtout — je te le rappelle, au cas où tu l'aurais oublié — que tu es censée être ma compagne, et que tu devras me regarder d'un air énamouré tout le temps où tu seras avec moi. »

      Je réalisai soudain que j'allais peut-être devoir jouer un rôle pendant des semaines, voire même des mois ou des années. La peur s'empara de moi.

      Je souris hypocritement dans une tentative de garder mon sang-froid.

« Finalement.. j'ai changé d'avis. Je crois que je vais directement aller me suicider, hein. Ce sera moins douloureux.
— Quoi ? En quoi est-ce douloureux de regarder un être parfait tel que moi ? Attends.. tu veux dire que je t'éblouis au point que tu en souffres ? C'est super touchant.
— Très drôle. Je préférerais faire semblant d'être amoureuse d'Ilhan, entre nous.
— Ha ! Tu rajoutes du drame. J'aime cela. Et... Ilhan aimera aussi », réalisa-t-il.

       Dave me regardait comme s'il c'était la première fois qu'il me voyait.

« Attends. C'est vraiment pas con. Je suis sûr que si tu le convaincs — sans le lui dire clairement, mais en le lui faisant ressentir — que tu tombes amoureuse de lui, ça le rendra aveuglément confiant en ta loyauté ! Et du coup... tu pourras plus facilement atteindre de hautes responsabilités. T'es pas si stupide que ça, en fin de compte », observa-t-il en plissant les yeux.

      Je réfléchis quelques minutes à cette éventualité.

« C'est vrai qu'en soi, ce pourrait être une bonne idée. Mais tu crois vraiment que c'est crédible, que je "tombe amoureuse" de lui, alors que je lui ai fait un speech de vingt minutes sur pourquoi et ô combien je t'aimais ?
— L'amour, c'est l'amour.
— Ce qui veut dire ?
— Ben, l'amour est fourbe. »

     Je ris.

« Non, mais tu peux croire être avec l'amour de ta vie, et rencontrer la personne qui va détruire toutes tes certitudes au premier regard, reprit Dave. Bon, tu ne verras sans doute jamais Ilhan, mais -
— Heuh.. l'interrompis-je. En fait, je l'ai vu.
— Je te demande pardon ? J'ai dû mal comprendre.
— Ben, tu sais, pendant l'entretien, il est passé de l'autre côté de l'écran. Je l'ai vu. »

      Dave avait les yeux tellement écarquillés que je crus qu'ils allaient sortir de leurs orbites.

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