J'avais les yeux brillants.
« Je vais devoir le faire, hein ? »
Dave me lança un coup d'oeil coruscant, comme s'il était lui aussi pris d'assaut par les larmes.
« J'ai bien peur que tu n'aies pas le choix, Thalia, si c'est le seul moyen de rentrer dans son cercle. »
Je me mis à trembler de tous mes membres ; je n'étais plus capable de me contrôler. Je sentais mes battements de coeur accélérer et mes dents claquer, et pourtant j'avais l'impression de me regarder de l'extérieur, totalement détachée de cette enveloppe charnelle si fragile.
La main de Dave se posa sur ma cuisse, et je vins me blottir dans ses bras. Dans cet instant, j'étais si terrifiée à l'idée de perdre mon humanité que j'avais fait un total retour en enfance. On aurait dit une enfant câlinée par son père après un vilain cauchemar.
J'avais honte de l'image de moi que cette scène renvoyait sans doute à Dave, mais j'avais par-dessus honte du fait de ne pas être capable de me contrôler. J'étais une guerrière, une soldate, j'avais déjà vu la mort et la peur, et pourtant l'idée d'infliger de la douleur volontairement à quelqu'un un m'était insupportable.
« Dave, je ne peux pas faire ça. Je ne peux pas ! On m'a appris à me défendre, et on m'a appris à tuer en cas de nécessité, j'ai moi-même enseigné à tuer - mais torturer ? Non, je ne peux pas faire ça. »
J'attendais que Dave prenne le rôle difficile, qu'il me dise ce qu'il fallait que j'entende et pas ce que voulais entendre, mais j'eus beau attendre, il ne remua pas les lèvres. J'avais l'oreille collée à son torse, je m'accrochais désespérément au mouvement régulier d'inspiration et d'expiration de ses poumons pour éviter de penser aux larmes qui menaçaient de déborder.
Je sentais sa respiration venir souffler légèrement sur ma chevelure et toujours et encore je m'accrochais à cette régularité. 1, 2, 3, 4, 5, inspirations, et je parvins à ralentir les battements de mon coeur. Il n'avait toujours pas prononcé un mot, mais je me calmais progressivement au creux de l'étreinte rassurante de mon compagnon.Tout à coup, je ressentis de brutales nausées. Je me redressai, sentant mon visage devenir blanc comme neige et ma chaleur corporelle augmenter. Un voile de sueur vint recouvrir mon front et je fus prise de plusieurs hauts-le-coeur. Dave sauta du canapé et s'accroupit face à moi en me fixant d'un air inquiet.
« Thalia ? Tu vas bien ? »
Il était évident pour lui comme pour moi que ce n'était pas le cas, mais je hochai la tête faiblement. Je me levai et titubai jusqu'à la petite salle de bain. Arrivée à la porte de la minuscule pièce, je me trouvai face au miroir sale perché au-dessus du lavabo craquelé. La vision de mon visage me terrifia. J'avais les traits tirés et l'air plus mal en point que jamais. Ma peau avait désormais perdu son aspect nivéal ; j'étais devenue verdâtre.
Je sentais les nausées prendre de plus en plus d'importance. Les battements dans mes jugulaires étaient visibles de l'extérieur tant ils étaient violents. Je m'accroupis au pied des toilettes et j'y penchai la tête. Bientôt de nouveaux hauts-le-coeur me secouèrent tout le corps et je rendis tous mes derniers dîners.
Dave était appuyé contre le chambranle de la porte, je sentais sa présence. Il avait la discrétion de ne pas s'approcher de trop, ce que j'appréciai grandement - peut-être était-il aussi resté à l'écart en raison de l'odeur nauséabonde qui se dégageait maintenant des cabinets.
Néanmoins, j'étais réellement soulagée qu'il ne soit pas en mesure de voir ce qui se trouvait au fond des W. C., car mon vomi n'était pas seul. Au milieu de ce qu'avait rejeté mon estomac, je voyais très clairement du sang.
[...]
Samir pleurait à chaudes larmes. C'était la première fois que ça lui arrivait depuis la disparition de Thalia. Ce soir-là, il pleurait, non pas de tristesse, mais de colère. Jordan lui avait menti. C'était bien ce qu'il pensait ; Thalia était en vie. Elle était en vie... et elle n'avait pas trahi. Jordan est un putain de manipulateur, voilà ce qu'il est, pensait-il. Il était tellement enragé d'avoir cru, ne serait-ce qu'un instant, les mensonges du Dirigeant, qu'il en tremblait.
Il attrapa la lettre et la fourra dans son sac, puis sortit du bureau avec la démarche d'un prédateur sur le point de déchiqueter sa proie. Jordan allait payer pour ses mensonges : peu importait qui il était, aux yeux de Samir, ni même s'il avait menti pour le préserver tout en lui donnant encore plus de rage contre le régime de Ilhan. Peu importait.
Il avait prétendu que Thalia était morte ; il avait juré qu'elle avait trahi, et ce uniquement à Samir, en le regardant droit dans les yeux. Il avait menti et il avait condamné à une mort certaine celle que Samir aimait le plus. Il allait payer, d'une manière ou d'une autre.
[...]
Dave se gratta la joue droite, qui était recouverte d'une barbe de trois jours.
« Thalia, est-ce que ça t'arrive souvent, ce genre de trucs ?
- Honnêtement, je ne sais pas. Tu m'aurais demandé ça avant que je descende sur Terre, je t'aurais dit que c'était exceptionnel. Enfin, j'ai vomi la nuit avant de venir. Mais depuis que je suis ici, c'est plus régulier. Comme c'est la nuit, d'habitude, tu ne t'en rends pas compte, c'est tout. »Le blond me lança un regard interrogateur.
« Pourquoi ne m'en as tu pas parlé ? »
Je haussai les épaules.
« Tu as d'autres choses à penser, tu es chef de faction, Dave.
- Certes, mais quand des individus sous mon toit - pas que j'aie l'habitude d'en loger, mis à part toi, mais bon - vomissent aussi régulièrement, j'estime que c'est de mon ressort de prendre un minimum soin d'eux.
- J'apprécie, Dave, vraiment, mais je t'assure, ça va mieux. C'est arrivé hier et quelques autre fois, mais ça va. C'est probablement la bouffe d'ici qui me fait ça. »Dave soupira.
« La bouffe, ou la peur... Sois vigilante, s'il te plaît. Je ne voudrais pas qu'on m'accuse d'un meurtre. »
Je le frappai sur l'épaule.
« T'as refusé au début, mais maintenant je ne suis plus un méchant inconnu pour toi. Viens dormir avec moi que je surveille ces nausées. En plus, le canapé est honnêtement très inconfortable et ça me fait mal au cœur de te voir dormir là-dessus.
- J'ai pas besoin de ta pitié, Dave. Par contre, je ne dis pas non à une bonne nuit de sommeil sur un vrai matelas. »
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INTEBIAN
Science FictionDans un monde tombant en ruines où la misère et les exécutions font partie du quotidien, sept factions sous l'autorité d'un dictateur sanguinaire contrôlent et formatent la moindre pensée en tenant le peuple par les technologies, la terreur et la di...