16 | La décision

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Dave s'était endormi depuis longtemps, mais je ne parvenais pas à tomber dans les bras de Morphée malgré le fait que je profitais d'un vrai matelas pour la première fois depuis deux mois. J'essayai de ne pas remuer pour éviter de réveiller mon compagnon. J'étais allongée sur le côté, et j'admirais son visage glabre. Il s'était rasé avant de se coucher, et il dégageait désormais une agréable odeur d'après rasage.

Il était si proche de moi que je sentais sa respiration mentholée venir me caresser la peau, et je réalisai soudainement que je ne m'étais jamais trouvée aussi près d'un homme, mis à part Samir. Celui-ci me manquait au point que j'en aie mal à la poitrine ; souvent, je m'y sentais à l'étroit et je peinais à respirer, comme si mes côtes refusaient de se soulever pour me donner ce souffle de vie.

J'expirai longuement, la main sur le cœur, en essayant de vider mon esprit de tout ce qui l'encombrait ; la peur que provoquait en moi la discussion que j'avais eue avec Ilhan, le manque qui me prenait les tripes et les retournait en permanence, la douleur que je ressentais dans le bas-ventre et les nausées devenant de plus en plus fréquentes, sans parler du fait qu'il me fallait encore trouver Kyhan. Je n'avais aucune idée d'où il pouvait être... et il était urgent que j'obtienne le sérum. Je sentais que la folie allait bientôt s'emparer de moi si je continuais avec l'image de Samir dans le cerveau. J'étais terrifiée par le pouvoir que l'amour avait sur moi, maintenant que je me trouvais auprès de personnes qui ne rechigneraient pas à s'en servir.

Il était temps que je demande à Dave de m'aider à trouver Kyhan. Il était influent et saurait sans doute trouver les personnes qui nous permettraient de remonter jusqu'à mon vieil ami. Un sourire vint éclairer mon visage malgré moi alors que je le regardai dormir si paisiblement. Des mèches blondes retombaient sur son front, auréolant son visage d'or. Il était beau, et il était bon. Je me dis que j'aurais pu être tombée sur bien pire.

Et tout à coup, je sus quel serait mon prochain mouvement sur l'échiquier. Je pris ma décision au milieu de la nuit, qui, semblerait-il, porte réellement conseil. J'allais demander à Dave de m'épouser.

[...]

Le cliquetis sec et le froid du métal sur ses poignets donnèrent des frissons à Samir. Malgré tout, le jeune homme se laissa menotter sans résistance ; il avait eu ses réponses, c'était tout ce qui lui importait pour l'instant. Il savait que Jordan ne pouvait se passer de lui ; il était un trop bon élément. Tôt ou tard, le Commandant réclamerait sa présence en mission. Samir attendrait, et à la première occasion, il partirait à la recherche de Thalia.

Jordan fit signe aux gardes de l'emmener, et il referma la porte de son bureau. Le visage tourné vers la celle-ci, Samir entrevit l'homme aux traits fatigués passer une main autour de son cou meurtri. Quant aux gardes, ils avaient tous deux une mine neutre ; ils étaient de ceux qui réalisent leur besogne sans se poser de questions. Si leur regard était fixé sur l'horizon, celui de Samir se perdait dans tous les détails qu'il pouvait observer, sachant foncièrement bien que tout ce qu'il aurait à voir pendant quelques mois serait les quatre murs d'une cellule.

Il y avait déjà fait un tour quelques années auparavant, peu après son arrivée sur la base, quand il avait mis K.O. un général qui s'intéressait de trop près à Thalia, et en avait de cuisants souvenirs. Il avait également manqué de peu d'y retourner l'année précédente lorsqu'il s'était battu avec un soldat de son bataillon et qu'il l'avait laissé à deux doigts du coma. Samir était sanguin et il en était fier. Il était fier d'être de ceux qui se battaient pour leurs opinions jusqu'au bout. Cette fois serait la dernière fois qu'il abandonnait sa liberté. En quittant sa geôle, il quitterait le Mouvement. Définitivement. Il partirait en mission et une fois sur Terre et le travail achevé, il quitterait la combinaison collante que tous les missionnés obtenaient pour enfiler une tenue typique d'en bas.

Alors que ses rangers frappaient durement sur le sol en aluminium avec une rigueur militaire, le jeune homme réalisa que son corps n'avait pas connu la douceur du coton ou de la soie depuis qu'il était parti ; les combinaisons au néoprène avaient beau avoir leurs avantages, leur contact était bien moins agréable. Il lui tardait de ré-enfiler une tunique colorée, comme il le faisait à l'époque. Les tuniques étaient l'habit le plus répandu sur Terre désormais. Dépendant de la classe sociale, on en changeait la matière.

Samir avait eu la chance de naître dans une famille plutôt aisée, son père dirigeant une entreprise d'électronique. Il avait grandi dans la campagne, dans une grande maison près d'un bois, et la nature lui manquait viscéralement. Il lui tardait de respirer l'air, certes pollué, mais l'air de la Terre. Il en avait assez de l'air conditionné de la base qui ne transportait ni l'odeur du pétrichor ni de la terre réchauffée par le soleil.

Plus il y réfléchissait, plus Samir était convaincu que le bon choix était de se défaire de son temps passé sur la base ; ç'avait été extraordinaire, mais il avait un besoin inassouvi d'avoir une indépendance totale. Pendant longtemps, il avait obéi aux ordres sans les questionner, ou du moins sans crier haut et fort sa désapprobation, estimant qu'il n'était qu'un pion qui devait exécuter les ordres car il n'avait pas la vision d'ensemble de ceux qui prenaient les décisions.

A présent, il ressentait l'envie de n'obéir qu'à lui-même et de ne rendre compte qu'à sa propre conscience. Le mensonge de Jordan avait été le point déclencheur ; l'autorité, même supposément bienveillante, finissait toujours par abuser de son pouvoir. Samir était déterminé à reprendre les rênes de sa vie. Il savait qu'il aurait du temps derrière les barreaux, et comptait le consacrer à réfléchir à ce qu'il ferait, après.

Il était déjà l'heure, et le corps de Samir était désormais recouvert d'une pellicule de sueur froide. Descendus au sous-sol, les trois hommes se trouvaient au niveau des cachots. Ils avancèrent à grandes enjambées vers la porte blindée d'une cellule qui affichait le chiffre 75. L'un des deux gardes lâcha le bras de Samir, et entreprit d'ouvrir la porte avec une clé sophistiquée. L'autre poussa fermement le jeune homme dans l'étroite pièce sans autre source de lumière qu'une vieille ampoule grésillante dont les fils étaient apparents.

Samir plissa les yeux, ébloui par la lumière froide qui s'en dégageait. Il sentait son rythme cardiaque augmenter, il se sentait paniquer, et maintenant qu'il se trouvait dans l'espace bientôt clos, ses souvenirs du dernier isolement vinrent le frapper de plein fouet. La peur, la solitude... et la folie. Il jeta un dernier regard aux deux soldats, auxquels il ne parvint pas à cacher l'ampleur de sa désespérance.

« Bon courage, mon gars », souffla le premier garde à Samir alors qu'il refermait la porte de la cellule.

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