Le bruit des balles. Les corps qui tombent, les cris de douleur, et pourtant, le silence assourdissant entre chaque nouvelle détonation.
Slash.
Ses grands yeux noisette qui papillonnent. Le sang poisseux qui dégouline de sa bouche sur son menton, son regard qui se perd dans les étoiles et qui n'en redescend plus, ses doigts qui cherchent à attraper ceux du garçon.
Slash.
Le liquide translucide qui ne paye pas de mine dans le verre. Les doigts de la femme d'âge mûr qui tremblent. Un dernier sourire vacillant. Les larmes du garçon.
Un grognement sourd, animal, s'échappa de la bouche ouverte au milieu de la tête rejetée en arrière. A chaque réminiscence, le corps de l'homme s'était contracté, faisant ressortir les jugulaires sur son cou et les veines qui dessinaient une confluence sur son front. A chaque réminiscence, il avait agrippé les draps de toute la force de ses doigts, comme pour imprimer au tissu la pression intolérable que son cœur subissait. A chaque réminiscence, son souffle s'était coupé jusqu'à ce que l'horreur le force à inspirer de nouveau pour laisser échapper les sanglots coincés dans sa gorge.
La boule qu'il avait à l'intérieur de cette dernière ne cessait de grossir, et lorsqu'il ouvrit ses yeux dorés si caractéristiques sur la chambre faiblement éclairée par la lune, il était encore enfermé dans l'abject souvenir des tous les drames qui avaient caractérisés sa vie. Les larmes commencèrent à couler sur ses joues brûlantes de fièvre. Le jeune adulte s'était redressé, le palpitant carburant toujours à deux cent battements minute. Dans un mouvement réflexe, il avait jeté un regard éperdu vers la porte de sa chambre comme un enfant attendant qu'un parent vienne le réconforter.
Il tremblait encore de tous ses membres. Pourtant, les cauchemars venaient le hanter toutes les nuits. Il ne passait pas un temps de sommeil sans que l'homme ne revoie de corps étendus ou sentir le souffle de la mort dans sa nuque. Toute son adolescence avait été rythmée par des décès toujours plus violents et inattendus, et depuis le premier évènement, il avait été incapable de trouver du repos dans le sommeil. Les rêves qu'il faisait se répétaient, inchangés malgré les années, d"une réalité tellement palpable que chaque nuit, il lui semblait qu'il les vivait pour la première fois. Sans vraiment savoir pourquoi, allongé sur le lit qu'il occupait comme une tombe, l'homme ressentait ce soir-là ressentait une envie folle - une envie d'une intensité qui jamais ne l'avait frappée - de mourir. Chacun de ses cauchemars le poussait à désirer la mort un peu plus, et ce soir-là, l'idée du suicide lui avait traversé le corps comme un coup de foudre.
Malgré tous ses efforts, il ne parvenait pas à calmer sa respiration précipitée. Une inspiration, une expiration, se répétait-il, la main posée sur le ventre pour contrôler le flux et reflux de l'air qui le gonflait. Il se résout à l'option de facilité, celle qui le rendait presque penaud de honte. Du bout du bras, il attrapa sur sa table de nuit le verre d"eau qu'il remplissait tous les soirs ainsi que le cacheton qui parvenait parfois à atténuer son mal-être en le remplissant de coton artificiel. A nouveau allongé, les yeux pleins de larmes fixés au plafond et l'avant-bras droit glissé sous sa nuque, l'homme réalisa que les médicaments ne seraient pas suffisants, cette nuit-là.
Après avoir essuyé les perles de sueur qui étaient apparues sur son front à l'aide de son autre avant-bras, Ilhan avait faiblement tendu ce dernier en arrière, vers le bouton bleu azur intégré au mur contre lequel était poussé son lit. Quelques secondes s'étaient dissoutes dans l'air puis il s'était redressé à nouveau, trouvant extrêmement inconfortable le passage des larmes qui coulaient du coin de ses yeux à son cuir chevelu en venant s'échouer derrière ses oreilles. Alors, il attendit, assis au milieu du matelas qui avait la capacité d'accueillir plus de personnes qu'il n'en côtoyait tous les jours. Le visage encore strié de larmes, il regardait au dehors, au travers des voiles qui dansaient au vent nocturne devant la fenêtre ; il n'eut pas à patienter bien longtemps. Elle apparut dans la chambre sans un bruit, sans un mot. Seul le bruissement des couvertures et le grincement du sommier lorsqu'elle avait grimpé sur le matelas avaient annoncé sa présence.
Avec une tendresse infinie, elle avait déposé un baiser sur l"épaule de l"homme, qui s"était alors retourné. Puis, toujours en silence, d"un geste expert, elle lui pris la tête entre ses mains. Elle passa ses pouces sous les yeux dorés, chassant les larmes qui y stationnaient, puis leurs deux corps se rejoignirent dans une étreinte fervente. Ilhan encerclait de ses bras musclés le corps de la blonde avec force, le nez enfoui dans son cou, respirant son odeur sécurisante. Leurs corps de feu pressés l'un contre l'autre étaient prêts à déclencher un incendie. Les deux adultes avaient une aura sauvage, bestiale, d'une attirance délirante. Ensemble, ils étaient irrésistibles. Les émotions qui les consumaient étaient tellement enfouies en eux qu'ils étaient à un iota d'en brûler vivants et de mettre le feu au reste de le planète au passage.
[...]
A quelques milliers de kilomètres de là, quatre Résistants attendaient à l'entrée du secteur des prisons, dans les tréfonds de la base. Jeunes, mais parmi les plus entraînés de leur âge à la jiakra, Maria, Aya et Joana se tenaient fièrement aux côtés d'un des héros de la Résistance, Adrian, le soldat qui avait mené à bien des dizaines de sabotages sur Terre. Ce dernier se tenait au garde-à-vous, et comme à son habitude, il avait composé un masque d'apparence calme. Seul son regard brûlant trahissait les sentiments qui tourbillonnaient en lui depuis son réveil et qu'il peinait à comprendre.
S'il y avait bien une chose qu'Adrian savait, c'est qu'il était partagé. Libérer Samir était-elle une bonne décision ? Seul le temps le prouverait ; seulement, Adrian détestait les imprévus. Et d'autant plus ceux qui pouvaient faire avorter ou rater une mission. Il doutait que l'amant de Thalia soit mentalement disposé à partir en mission. Si la disparition de celle-ci ne l'avait pas déjà rendu fou, les conditions d'emprisonnement de la base l'avaient sans doute fait. Adrian ne connaissait pas un homme ou une femme ayant passé autant de temps dans une cellule de la Résistance qui ait eu encore les idées claires. Mais il n'était plus temps de douter, se dit-il. Déjà on entendait s'élever dans le couloir la clameur des rangers des soldats qui escortaient Samir vers la sortie. Il avait reçu l'antidote, et le départ était immédiat.
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INTEBIAN
Fiksi IlmiahDans un monde tombant en ruines où la misère et les exécutions font partie du quotidien, sept factions sous l'autorité d'un dictateur sanguinaire contrôlent et formatent la moindre pensée en tenant le peuple par les technologies, la terreur et la di...