Le mélange écœurant de la poudre énergétique et de l'eau chaude censé reproduire le goût d'une soupe se vit abandonné dans une fraction de seconde. Ce n'était pas par rejet de la nourriture par mon palais que je m'étais levée soudainement de table. Mon cœur s'était mis à accélérer de manière incontrôlable. Tentant de me calmer, de ne pas m'inquiéter de l"affolement de mon corps, je me concentrai sur les battements de mon palpitant en essayant de les espacer. Je fermai les yeux, me sentant tout à coup incapable de tenir debout une seconde de plus. Je réunis mes dernières forces pour rejoindre le sofa et me laissai tomber dessus.
La tête tournant, les tempes battant d'un apport de sang beaucoup trop rapide, les bras ballants, les paupières closes et dans l'incapacité d'amorcer le moindre geste, je sentis une masse enserrer ma poitrine. Le poids se faisait de plus en plus lourd, et ma respiration s'effectuait de plus en plus difficilement. La peur d'avoir contracté une maladie mortelle avant d'avoir finalisé ma mission me fournit un regain d'énergie, et je me relevai subitement. Dave m'avait suivie dans le salon, mais je n'étais pas même capable de le regarder. La seule chose qui importait à mon cerveau dans l'instant, c'était de bouger, d'avoir une activité la plus soutenue possible. Je me mis à marcher de long en large dans l'appartement, ayant sans aucun doute l'air fou.
Je fermais les yeux puis les rouvrais ; je me trouvais dans une urgence de mouvement qui m'était totalement inconnue. Je ne pouvais cesser de déambuler dans le salon ; je ne pouvais m'arrêter, ou j'en mourrais, me disait mon cerveau. C'était plus qu'un avertissement, c'était une menace. L'instinct de survie me disait d'épuiser toutes mes forces s'il le fallait, mais je ne pouvais pas m'arrêter. Dave finit par tendre un bras vers moi mais je me dégageai, secouant la tête, incapable de lui dire : merci, merci d'être là, mais ne me touche pas, ne me touche pas, je t'en supplie. Incapable de prononcer le moindre mot, seul un gémissement rauque s'échappa de ma gorge nouée par l'envie de pleurer.
C'est alors que toute force me déserta. Je tombai à genoux, puis la fatigue me transforma en loque sur le sol, tremblant de tous mes membres, agitée comme une possédée. Je sentis mes yeux se révulser et je dus user de toute ma volonté pour rester consciente. Je sentis la présence de Dave à mes côtés, et le savoir avec moi bien que sans contact aucun avec ma peau me procura une goutte de réconfort dans l'enfer que je traversais. Un temps qui me sembla interminable se dissipa dans l"air, et enfin je retrouvai un semblant de respiration. Un moment de répit dont je profitai pour prendre mon rythme cardiaque. Je plaçai mon index et mon majeur sur une jugulaire et comptai. Cent-vingt battements par minute ; l'éréthisme qui avait saisi mon cœur ne semblait pas faiblir.
[...]
Les joues érubescentes d'avoir couru pendant des centaines et des centaines de mètres, les cinq missionnés ralentirent enfin. La descente était l'une des étapes les plus déterminantes de l'expédition. Maintenant qu'ils avaient trouvé une relative retraite au cœur des restes de la forêt amazonienne, ils pouvaient enfin faire halte. Aucun d'entre eux n'était de nature dolente, apprécia Samir, et il lui sembla même être plus essoufflé que les autres - après tout, malgré les exercices physiques qu'il s'astreignait à faire dans sa geôle, il avait perdu beaucoup de poids et de résistance.
Au fil des jours qui suivirent, Samir apprit que la splendide soldate au regard fier et aux cheveux de jais se nommait Maria. Samir aimait se trouver à ses côtés. Ni lui ni elle n'étaient loquaces, mais dans leur silence, ils se comprenaient. Lui comme elle avaient une peau dorée, les cheveux et les yeux d'un brun profond, le visage aux traits orientaux. Tous deux étaient beaux, forts, intelligents. Destinés à mourir sur la Terre qu'ils avaient quitté des années plus tôt dans l'espoir de la sauver. Adrian, Joana, et Aya avaient tendance à rester ensemble, même si Samir surprenait souvent le regard vert-marron de cette dernière posé sur eux.
Descendre était une chose. Survivre en bas en était une autre.
Samir, à qui Adrian peinait désormais à faire confiance, était assigné à la chasse. Bien sûr, la Terre étant ce qu'elle était, la faune comme la flore se révélaient difficilement et trouvables et comestibles. Mais les Résistants n'avaient pu se permettre d'amener en bas ce qui aurait pu représenter des semaines voire des mois de nourriture. Ils avaient des rations de secours, des comprimés assainissants pour l'eau, évidemment - mais leur nombre était limité, et il passa plusieurs jours avant qu'ils n'avalent tous un vrai repas.
Ils progressaient sans discontinuer dans l'environnement hostile qu'était la jungle, jour et nuit. Des tours de garde étaient organisés, mais Samir, toujours considéré comme un traître par le dirigeant de l'expédition, en était banni. Au départ, il en avait fulminé. Il était l'un des meilleurs soldats de la Résistance, et on le cantonnait dans son lit comme un enfant puni ? Mais plus le temps passa, plus il se mit à apprécier qu'on ne lui retire pas la moindre minute de sommeil. Il commençait à fatiguer du train de vie qu'ils menaient en bas - il espérait que les autres ne le voient pas, mais souvent, il apercevait des silhouettes à l'horizon ; parfois, elles se rapprochaient de lui, et parfois, il entendait presque leur voix se mêler à la brise du matin. Thalia, eh bien, Thalia lui apparaissait quasiment tous les jours, quasiment toutes les nuits. Il lui arrivait de se réveiller au beau milieu d'un repos, le corps recouvert de sueur et les yeux embués de larmes.
Et à chaque fois qu'il s'agissait du tour de garde de Maria, il sentait son regard inquiet posé sur lui, qu'elle détournait dès qu'elle se rendait compte qu'il était éveillé. Samir n'était pas stupide ; il se doutait qu'il devenait fou et il se doutait qu'elle le savait ; ses hallucinations n'étaient pas seulement causées par la chaleur et l'humidité étouffante de la jungle, non - son cerveau lui jouait des tours depuis qu'il était passé par la case prison. Et il doutait d'en sortir indemne. Au point de se demander, en fin de compte, s'il ne valait pas mieux tout abandonner. Arrêter d"espérer. Et mourir.
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INTEBIAN
Science FictionDans un monde tombant en ruines où la misère et les exécutions font partie du quotidien, sept factions sous l'autorité d'un dictateur sanguinaire contrôlent et formatent la moindre pensée en tenant le peuple par les technologies, la terreur et la di...