31 : La condamnation

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Samir avait encaissé la nouvelle sans un battement de cils. Il s'était tenu droit, n'avait pas même respiré le temps de l"annonce. Il regardait le visage des soldats face à lui sans même les voir. Il se sentait déserté de ce qui lui avait permis de tenir à l'isolement. L'espoir. Il avait senti en lui l'oiseau déployer ses ailes et s'échapper de sa cage thoracique.

Maintenant qu'il avait quitté le nid, il n'y avait plus rien pour le réchauffer, et autrement dit, pour le maintenir en vie. Seul l'espoir permettait à l'amour de survivre, et, ce dernier ayant abandonné leur siège, le cœur du jeune homme était laissé pour mort. Un vide incroyablement lourd avait pris toute la place en lui, s'était installé dans le moindre des recoins pour lui rappeler que l'espoir n'était plus là à chaque endroit où sa pesanteur se faisait sentir.

L'espoir l'avait abandonné en emmenant avec lui avec la seule chose qui permettait à Samir de tenir jour et nuit quand la solitude venait frapper à sa porte. L'apparition diaphane de Thalia avait déserté son environnement, et son regard se heurtait désormais à la dureté des traits de ceux qui venaient de l'assassiner à l'intérieur. Certains visages étaient familiers à Samir ; ils avaient servi sous les ordres de Thalia avant qu'elle ne descende. Les autres faisaient sans doute partie du régiment qu'Adrian dirigeait depuis des années. Mis à part leur général et le jeune d'une vingtaine d"années qui avait ri au nez de Samir, ils étaient tous extrêmement jeunes. L'un d'entre eux, un garçon malingre au visage émacié, semblait avoir moins de dix ans.

Un ricanement irrépressible remonta dans la gorge de Samir ; Jordan était faible, sans doute le plus affaibli qu'il ne l"avait jamais été. Bien que l'âge moyen de la population soit extrêmement bas désormais, le dirigeant de la Résistance ne s"était jamais risqué à employer des gamins dans la jiakra. La soldate sur sa droite, à qui il donnait grand maximum quinze ans, lui jeta un regard dur. Voyant que son ricanement ne prenait pas fin, et sans briser la régularité de son pas, elle lui envoya une torgnole. Les lèvres de Samir s'étirèrent dans un sourire satisfait. Cela lui était douloureux, il sentait le sang poisseux dévaler son menton, mais c'était un sourire qui l'emplissait d'une joie indescriptible. Tant qu'à mourir, autant le faire d'une manière badass.

Samir tourna la tête vers la droite par réflexe, s'attendant à plonger son regard dans celui de Thalia alors qu'elle lui souriait d'un air complice, mais tout ce que rencontrèrent ses yeux, c'était le profil du visage de la soldate qui venait de le gifler. Le garçon réalisa avec le cœur si lourd qu'il en pesait sur ses entrailles qu'il n'allait jamais revoir Thalia, et sa douleur en fut telle que les larmes ne montrèrent même pas le bout de leur nez. Il avançait, désormais impassible, les lèvres serrées et le pas militaire. Il allait mourir en ignorant si elle était toujours en vie. Elle allait croire qu'il n"avait rien fait pour la retrouver, et pire encore, si jamais elle cherchait à le retrouver, on lui dirait qu'il était mort pour cause de haute trahison et elle le mépriserait comme tous les autres.

C'était la seule chose qui empêchait Samir d'apprécier son exécution. Au final, il en était presque heureux, quoique déçu qu'on ne l'ait pas exécuté de suite. Ces cinq mois de solitude l'avaient détraqué. Il allait mourir, et s'il existait un paradis, il allait y rejoindre ses parents. Il laisserait Jordan se démerder, lui qui avait survécu à ce dont la moitié de la planète avait succombé. Lui qui avait survécu par trois fois et dont les paroles étaient prises pour celles d'un messie. Lui qui souhaitait détruire Ilhan probablement dans la seule optique de prendre son trône.

Samir bouillait de toute la haine qu'il avait refoulée depuis des années, il était en colère contre son époque et ceux qui la peuplaient, eux qui auraient dû faire la différence et avaient encore plus lamentablement échoué que la génération précédente. Il bouillait de haine, et pourtant, rien ne le montrait de l'extérieur. Il était stoïque comme un rocher au milieu d'une tempête.

Samir était un homme fier. Il marchait la tête haute et rien n'altérait sa démarche déterminée. S'il lui restait bien une chose qu'il refusait de laisser aux mains de Jordan, c'était sa dignité. Il pouvait lui voler sa liberté et lui imposer la folie, mais il ne pouvait pas lui retirer sa dignité. Il mourrait debout, pas aux pieds de Jordan. Il n'offrirait pas ce spectacle dégoûtant de ramper devant celui qui aimait tant la démonstration de son pouvoir. Trop d'hommes et de femmes étaient morts ainsi sous les ordres de Jordan qui prétendait devoir les exécuter pour le plus bien ; Samir était certain qu'il y prenait du plaisir. Il frissonna à l'idée de mourir dans une camisole de force, qui lui rappellerait bien trop son enfermement.

Six soldats et soldates l'entouraient. Samir était persuadé que Jordan avait craint de la résistance de sa part, ce qui était ironique, car après tout, n'était-il pas venu sur la base pour ce but précis ? Résister. Au final, comme lui chuchotait le souvenir de Thalia à l'oreille, la Résistance était dirigée par un homme qui n'était pas meilleur qu'Ilhan. Ils étaient tous deux pourris jusqu'à la moelle, mais au moins Ilhan avait la décence de ne pas s'en cacher.

Le groupe était arrivé dans le couloir du Commandement. Ils étaient désormais sur le seuil de la salle des conseils, dans laquelle Thalia, en tant qu'une des plus haut placés du mouvement, avait passé de nombreuses heures. Samir, lui, n'avait jamais poussé les deux grandes portes métalliques ultra-sécurisées. Ces dernières s'ouvrirent au simple contact d'un frôlement de doigts d'Adrian. Quand ce dernier lui donna un léger coup dans le dos pour lui faire signe d'avancer vers la table qui réunissait le conseil, un sourire dément vint étirer les lèvres du beau brun.

INTEBIANOù les histoires vivent. Découvrez maintenant