Il était près de six heures du matin et Dave dormait toujours. J'avais passé la plupart de la nuit à le regarder respirer paisiblement. J'avais retourné la question dans tous les sens, c'était pourtant simple, mais je craignais de ne pas être capable de lui demander. C'était étrange, n'est-ce pas, de construire sa vie avec un presqu'inconnu ?
Moi qui avais toujours imaginé ma vie avec Samir, malgré la situation, malgré notre jeunesse, malgré la cible que l'on avait sur la poitrine en permanence à cause de notre statut de Résistants. Naïvement, j'avais espéré que malgré tout nous puissions tenter de vivre normalement. Si seulement j'avais su. Le manque me perforait le cœur, je ressentais l'absence de Samir sur chaque millimètre carré de peau qu'il ne pouvait désormais plus toucher et dans chaque souffle que nous ne partagions pas.
Plus le temps passait, ce matin-là, plus je me demandais s'il n'était pas mieux de demander la main de Dave après avoir ingéré le sérum ; plus rien alors ne me retiendrait de profiter de la délicieuse compagnie d'un charmant jeune homme partageant mon quotidien. Mais il était urgent que je me fasse sa femme ; il fallait que je prenne mes distances avec Ilhan en pouvant les expliquer, et ce sans perdre mon statut privilégié. Ce statut d'homme et femme mariés donnerait à notre couverture un coup de polish.
Au moment où j'en arrivais à la conclusion que je n'avais décidément pas d'autre choix que de le demander en mariage aussi tôt que possible, l'objet de ma réflexion ouvrit les yeux paresseusement. Son nez se plissa alors que ses mâchoires se séparaient dans un grand bâillement. Il passa son bras droit sous sa nuque, le regard fixé sur le plafond, et entra en matière d'une voix cassée :
« Salut, toi. »
Je souris dans le vide, et repris :
« Salut, toi. »
Je clignai des yeux plusieurs fois. 1, 2, 3, 4, 5, 6 battements de paupières, et à peu près le quintuple de battements de coeur. Je savais qu'il fallait que je le dise à ce moment-là , ou alors mes lèvres et ma langues ne s'allieraient jamais dans ces dispositions, ne formeraient jamais ces syllabes, et cela condamnerait et ma destinée et ma mission. Mes doigts trituraient le revers de la couette descendue sur mon ventre au cours de la nuit alors que je sentais un voile de transpiration se former sur ma nuque et l'ensemble de mon corps commencer à frôler les 40°C.
« Dave ? me hasardai-je à interpeller.
— Ouais ? » répondit-il, tournant enfin la tête vers la mienne.Je me mordillai la lèvre.
« Tu vas me prendre pour une folle, mais... veux-tu m'épouser ?"
J'avais lutté de tout mon saoul pour ne pas détourner mes yeux des siens, persuadée qu'il allait me répondre le contraire de ce qu'on est supposé dire dans de telles situations.
Dave était resté silencieux un moment, et le silence, contrairement à ce que l'on aurait pu imaginer, n'était pas de ces silences inconfortables, malgré mon angoisse d'obtenir la mauvaise réponse. Mais Dave me regarda dans les yeux et je me perdis dans les couleurs que la lumière du petit matin réveillait dans ses prunelles.
« Oui. »
Je m'exclamai avec un charme indéniable :
« Hein ? »
Un sourire dévoila les dents de Dave et il gloussa.
« Oui, je le veux. Oui, précisa-t-il, je vais t'épouser, idiote ! "
J'éclatai de rire.
« Très romantique.
— On naît doué pour ces choses-là, ma chère, on ne le devient pas !
— En effet. Si tu veux mon avis, ils n'ont pas oublié que le romantisme, à la naissance. Il y a comme une absence d'un quelque chose là -dedans », affirmai-je en tapotant son crâne.
Il se retourna dans le lit et fit semblant de m'en vouloir. Il était désormais face à la fenêtre et dos à moi. Les rayons du petit matin donnaient à sa peau légèrement basanée des reflets dorés. J'observais son côté se soulever chaque fois qu'il prenait une nouvelle inspiration, et au moment où il reprit sa position initiale, -c'est-à -dire couché sur le dos -, je sentis un haut-le-cœur me prendre.
Pas maintenant, pitié, pas maintenant, priai-je de toutes mes forces, les yeux plissés par la concentration. Le moment était parfait, et de nouvelles nausées n'allaient certainement pas le gâcher. Je repoussai la couverture délicatement, frissonnant au contact de l'air froid sur mes jambes, et me redressai dans le lit. Assise au bord de celui-ci, je plaquai mes deux mains contre mon ventre douloureux.
« Dave ? commençai-je prudemment. Tu penses que la peur peut rendre malade ? »
J'entendis la couverture bruisser et j'en déduis qu'il s'était redressé à son tour.
« Les émotions peuvent totalement rendre malade, mais à ce point, ça en devient inquiétant, Thalia. Ca fait seulement trois jours que tu t'en plains, mais ne me mens pas, je sais que tu as mal depuis longtemps. »
Je fronçai les sourcils.
« Honnêtement, je ne comprends pas, je n'ai jamais réagi aussi mal à la peur ou à la pression auparavant. Et ça m'agace. Ca m'empêche de faire mon job correctement, c'est insupportable. »
Je passai une main sur mon front brûlant.
« C'est pas grave. Je demanderai une drogue en plus du sérum à Kyhan quand on l'aura trouvé. »
Dave se racla la gorge.
« Je vais me renseigner au Q.G., il y a pas de mes collègues qui consomment régulièrement des produits du marché noir. Kyhan doit être trouvable par ce biais-là. »
Je me sentis tout à coup plus légère, réalisant que je n'aurais pas à lui demander d'utiliser son influence. Le fait qu'il accepte de mettre en danger sa couverture ainsi que sa propre personne pour m'aider m'émut au point que je fus tout simplement incapable de le remercier.
Inconscient du monologue intérieur qui se déroulait dans le corps voisin au sien, Dave continuait à parler.
« Maintenant que j'y pense, pour couvrir ce que nous cherchons vraiment, on pourrait dire qu'on souhaite un produit qui nous aiderait à concevoir, parce que l'un de nous a un problème d'infertilité ou je-ne-sais-quoi - mine de rien c'est de plus en plus le cas. Et ce serait crédible, venant de la part d'un jeune couple fraîchement marié. »
Je retins un rire nerveux.
« Qui voudrait d'un enfant dans ce monde ? Qui voudrait offrir cette vie à quelqu'un..?! »
Dave glissa sur le matelas derrière moi et posa sa main sur mon épaule dans un geste de réconfort, me sentant profondément attristée par ce constat.
« L'important n'est pas si nous le voudrions ou non mais si cela peut paraître quelque chose de véridique aux yeux des autres ; et comme il n'est pas rare que les femmes aient du mal à enfanter de nos jours, étant donné la baisse importante de la qualité du sperme, ça paraît plausible.
— Dave, tu lis trop de revues scientifiques. »
Je souris. Je me sentais mieux, désormais. Je n'avais plus l'impression que mon estomac était sur une montagne russe et que tout que j'avais ingéré les heures précédentes était en train de faire le chemin retour vers l'envoyeur.
Je me tournai enfin vers mon presque mari et lui souris avant de me diriger vers la cuisine. Là -bas, je récupérai l'anneau métallique accroché au bout du fouet après cinq bonnes minutes de recherche intensive et bruyante d'un quelque chose qui aurait pu faire l'affaire. Je tordis le bout de métal de manière à ce qu'il prenne la forme d'une bague ajustée. Fière de mon oeuvre, je retournai dans la chambre après l'avoir admirée, et la glissai au doigt de Dave.
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INTEBIAN
Science FictionDans un monde tombant en ruines où la misère et les exécutions font partie du quotidien, sept factions sous l'autorité d'un dictateur sanguinaire contrôlent et formatent la moindre pensée en tenant le peuple par les technologies, la terreur et la di...