15 | L'explication

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N O T E D E L ' A U T E U R E :

Commencez la musique à deux minutes ;)

[...]

Samir était assis sur le bord de son matelas ; il était calme - du moins d'extérieur. Une tempête rageait à l'intérieur de lui. Il attendait le retour des missionnés. Il avait entendu que la descente avait été une réussite ; il n'en était même pas heureux. Un ou cent morts de plus dans l'autre camp ne représentait plus rien pour lui.

Il en avait assez d'entendre parler de mort ; Thalia était en vie et lui aussi. Il n'avait plus qu'à la retrouver. Ce qui était certain, c'est qu'il ne la laisserait pas mourir loin de lui et seule. Il avait besoin d'être avec elle - peu importe les conséquences. Qu'il meure donc, s'il le fallait. Mais il mourrait en respirant le même air qu'elle.

Et avant de la retrouver, il devait se venger. Il attendait de pied ferme Jordan. Il devait le confronter.

[...]

Samir ne ferma pas l'œil cette nuit-là. Il attendit dans le noir de percevoir cette agitation palpable d'un retour de mission. Lorsqu'il entendit des éclats de voix dans le couloir, il se leva. Il avait en main la lettre de Thalia, plissée dans tous les sens à cause de l'anxiété qui dévorait son porteur.

Le jeune homme avançait avec détermination au milieu des couloirs qui se remplissaient au fur et à mesure de visages familiers ; les soldats de retour, recouverts de sang et de boue, se dirigeaient vers les bains.

Leurs familles souriaient de les retrouver, les serraient dans leurs bras à leur passage en bénissant le ciel d'avoir rendu leur frère, soeur, compagnon, compagne, et beaucoup plus rarement, père, mère, voire grand-père et grand-père. Samir marchait à contre-courant. Il se dirigeait vers le corridor du Commandement, et personne n'aurait pu l'arrêter dans sa course.

Bientôt il arriva devant la porte de Jordan. Non peu fier, il se rappela quel succès avait été son introduction dans le bureau de ce dernier. Personne n'avait même détecté de problème. Sur une touche moins joyeuse, il se mit à se demander s'il allait parvenir à garder son calme assez longtemps pour dire à Jordan qu'il avait découvert sa comédie.

Il attendit longtemps ; vingt minutes, peut-être. Il fallut ce temps à Jordan, Ilayda et Adrian pour se diriger vers le couloir du Commandement. Adrian boitait sévèrement. Il avait été touché par une balle dans la cuisse, mais il tenait à faire un court débriefing avec Jordan avant d'aller à l'infirmerie. Revoir cet homme qui comptait tant aux yeux de Thalia et pour qui Thalia avait tellement d'importance eut l'effet d'un gifle mentale sur Samir. Il devait prévenir Adrian qu'elle n'était pas morte, il lui devait bien ça.

Les trois soldats mirent du temps à atteindre le bureau de Jordan ; celui-ci jeta un regard étonné à Samir quand il le vit appuyé contre le mur d'en face.

« Que faites-vous ici, Samir ? »

Samir se retint de lui sauter à la gorge. Incapable de prononcer le moindre mot, il sortit la lettre de sa poche et la déplia lentement. Les yeux de Jordan s'agrandirent et une moue insupportable déforma sa bouche.

« On recule le débriefing. Merci pour votre courage, soldats, allez vous faire soigner. »

Samir décolla lentement son dos du mur et passa devant les gardes avec un air conquérant. Arrivé à la hauteur de Adrian, il lui tapota l'épaule, et lui murmura à l'oreille :

« Thalia est vivante ; débarrasse-toi vite de cette merde que t'as dans la jambe et on part la chercher. »

Sur le visage d'Adrian, Samir remarqua des gouttes translucides se faire un chemin. Il lui sourit sincèrement et emboîta le pas à Jordan. Lorsque ce dernier referma la porte, Samir le prit à la gorge tout en le plaquant contre celle-ci.

« Pourquoi ? POURQUOI M'AVOIR DIT QU'ELLE AVAIT TRAHI ? »

La voix du jeune homme avait déraillé sur le dernier mot. Il tenait toujours Jordan en l'air, dont le visage rougissait de plus en plus. Il suffoquait.

Samir le relâcha d'un coup. La strangulation avait duré vingt, peut-être trente secondes, mais ç'avait déjà été trop. Les yeux du Commandant papillonnaient, et il fut incapable de se relever. Il cherchait l'air comme un poisson sorti de son bocal, allongé devant la porte. Leur confrontation avait été quasiment silencieuse, mis à part les éclats de voix de Samir. Jordan n'avait pas crié ; il s'était seulement débattu en silence. Samir alla s'asseoir sur la chaise du Commandant.

« Je n'en ai rien à foutre, de ce que vous allez me faire. Je veux juste des réponses. Pourquoi l'avez-vous envoyée dans la gueule du loup ? »

Il avait réussi à conserver un ton de voix calme, et il en était fier. Il avait vraiment envie d'achever celui qui gigotait comme un asticot au sol. Jordan avait verrouillé la porte sans savoir qu'il venait de refermer sa seule issue. Le Commandant parvint peu à peu à se redresser avec difficulté, les mains autour du cou en tentant de le masser pour faire circuler le sang.

Lorsqu'il put reprendre la parole, il tourna la tête vers Samir.

« Thalia avait désobéi aux ordres en vous amenant en bas, même si c'était pour voir votre sœur. »

Il toussa et Samir sentit son sang bouillir à la mention de la mort de sa sœur.

« Il fallait que je la punisse, et il fallait que je l'assigne à une mission qui changerait la donne. Thalia est l'une de nos meilleures soldates, je ne pouvais pas gâcher son potentiel. »

La voix rauque de Samir tremblait lorsqu'il lui répliqua :

« Non mais je rêve ! On parle d'un être humain, là, bon dieu ! On ne parle pas des gens selon leur potentiel ! Moi ce que je vois, c'est que vous êtes un putain de connard qui manipulez les gens pour obtenir ce que vous voulez même si ça signifie avoir leur mort sur la conscience. Thalia savait qu'elle allait mourir avant de partir ! Vous ne l'avez pas exécutée, mais c'est tout comme ! »

Jordan fut pris d'une nouvelle quinte de toux.

« J'ai confié à Thalia des responsabilités que je n'avais jamais confiées à qui que ce soit d'autre auparavant parce que je sais que c'est la seule qui en est digne. »

Samir se prit la tête entre les mains.

« Vous l'avez envoyée là-bas en sachant qu'elle y resterait, arrêtez de me mentir ! »

Après une petite pause, il reprit.

« Ce que je veux savoir, c'est : un, où elle est ; deux, pourquoi ne m'avez vous pas dit qu'elle éait morte, comme à tout le monde ? Pourquoi m'avez-vous dit qu'elle avait trahi ? »

Jordan laissa échapper un gémissement de douleur.

« Thalia se trouve dans les environs de la faction 5, en Amérique du Nord. Avec Dave, un agent de cette même faction. Possiblement près de Ilhan. Et, pour ce qui est du second point... je ne voulais pas vous infliger la peine d'un deuxième deuil. Vous dire qu'elle avait trahi vous empêcherait d'aller chercher son corps en bas, dans la prétendue mission secrète où elle aurait perdu la vie, parce que descendre aurait mis en danger sa mission. »

Le Commandant grimaça.

« Maintenant que ceci est dit, je vous demanderai de ne pas bouger. »

Il se releva avec peine et ouvrit la porte, puis s'adressa aux gardes.

« Soldats, emmenez ce traître aux geôles. »

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