3. Arrestation - Partie 1

976 131 13
                                    

Marissa Berry prit une pile de linge propre dans l'officine et arpenta un long couloir feutré de tentures, sur des murs tapissés de damas aux teintes irisées d'or et un sol moquetté de laine beige, brodées de fleurs et de rinceaux où venaient butiner de petits colibris. C'était une femme d'une quarantaine d'années, aux jolies boucles blondes, le visage en amande et les yeux noisette atteints d'un léger strabisme, qui, engoncée dans un uniforme noir au tablier et charlotte de dentelle amidonnée, avait encore belle mine. Femme de chambre au troisième étage du prestigieux Regency Hotel, elle se satisfaisait d'y travailler depuis ses seize ans sans avoir eu le moindre souci. Pas de clients trop entreprenants, de supérieur railleur ou de scène qui vous gâche une réputation. Rien de dramatique, ce qui lui permettait de conserver son travail depuis tout ce temps sans finir à la rue, dans un Workhouse ou, pire encore, à fabriquer des allumettes jusqu'à ce que le soufre lui bousille les os et creuse sa tombe prématurément.

Soigneuse dans son travail, elle avait enfin gagné l'estime du directeur qui venait de la nommer gouvernante du deuxième étage. Une place bienheureuse dont elle prendrait possession en début de semaine prochaine, avec à la clé une petite augmentation qui ne serait pas de trop pour nourrir ses cinq petites bouches. Avec la paye de son chère George, cocher pour des gens de la haute, ils n'étaient certes pas riches, mais ne manquaient de rien non plus. La vie leur souriait. Ce fut donc le cœur léger qu'elle déposa sa pile de linge sur une commode et frappa à la porte de la chambre 36. N'obtenant aucune réponse, elle réitéra son annonce avant de prendre sur elle de pénétrer la chambre, espérant que le client ne s'y trouverait pas ou, à défaut, serait indulgent. Aussi entra-t-elle en prononçant la phrase de rigueur.

― Bonjour. Pardonnez-moi, je viens faire les lits.

Marissa n'obtint aucune réponse. Rassurée de voir qu'elle était entrée dans une chambre inoccupée pour l'heure, elle déposa les draps de lin brodés d'une marquise à petit point et du monogramme de l'hôtel sur un banc Louis XVI mis en bout de lit, et se retourna pour constater ce qu'elle aurait à faire. Après avoir jeté les yeux sur la pièce principale, dominée par une arche et deux colonnes à la « Française » en stuc, Marissa recula de frayeur. Puis, ne pouvant contenir plus encore son épouvante, elle poussa des hurlements de terreur et fuit la chambre et le cadavre qui s'y trouvait.

__________

La salle d'armes était une vaste pièce en longueur où le bois chaud côtoyait des murs au décorum ostentatoire. Au-dessus des têtes, sous une voûte imitant merveilleusement l'ossature d'un galion, de grandes tentures tombaient en pluie. Chacune représentaient les armoiries des plus prestigieuses écoles d'escrime contre lesquelles les membres du club avaient combattu et remporté la victoire.

Sous les yeux de ces membres venus s'y exercer par cette fin de matinée radieuse, deux duellistes s'affrontaient sous les injonctions du maître d'armes qui reprenait chaque geste qu'il jugeait imparfaitement exécuté. En vérité, le combat était plus acharné que convivial.

Henry Delhumeau s'arc-bouta, évitant de peu la pointe du fleuret qui visait son cœur. Son adversaire : Lord Richter. Aux yeux du français, c'était un impénétrable abruti persuadé d'avoir toutes les qualités requises pour être considéré comme l'un des meilleurs épéistes de Londres. Delhumeau lui soutenant le contraire, il n'avait pas fallu longtemps pour que les hommes en viennent à s'affronter pour faire la preuve de leurs propos. Et Delhumeau comptait bien lui faire entendre raison.

Les deux hommes se remirent en position et, au signal du maître d'armes, s'engagèrent. Les pieds trépignaient, les mains s'énervaient, les lames frétillaient. Les parades succédaient aux fentes, septime côtoyait seconde et quarte. Mais il était évident pour tous que Delhumeau, à la cocarde bleue, avait le dessus et le lord anglais en était conscient. Avec la fatigue alliée à la frustration, ce dernier se montra subitement mauvais joueur et tenta des sournoiseries que n'aurait pas renié Guy Chabot de Jarnac.

66 Exeter Street, Tome 1 : Le secret de la chambre 36 [TERMINÉ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant