19 - Tesson de vérité - Partie 2

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Il était simple de croire qu'un homme avait plus de force physique qu'une femme et ne se laisserait pas si aisément prendre son arme. Mais c'était mal connaître la nature des femmes et ce dont elles étaient capables dans les pires situations. Transigeant avec les règles, Doraleen se fit d'une brutalité similaire à celle dont elle avait été la victime ces dernières heures et mordit à pleines dents le poing de son adversaire.

Dans un maelström où ses sens étaient mis en exergue, elle goûta le sang de son adversaire, entendit son cri de rage et lui arracha le couteau des mains. Emportée par sa propre colère, la jeune femme exerça un mouvement vif qui cingla l'air et le deuxième cri qu'elle provoqua lui donna ce sentiment du pouvoir dérobé à son bourreau, sans être libérée de ses bras pour autant.

Le sang goutta sur le sol, tâcha le coton blanc de son jupon. Stupéfait l'un l'autre, ils n'abandonnèrent pas la bataille pour la soumission. L'une cherchant à garder son arme que l'autre voulait reprendre, leurs corps imbriqués comme une même entité s'affalèrent sur le tapis.

Gémissante, empêtrée, la curieuse bête de bras et de jambes se combattait elle-même, comme subissant une mue terrifiante qui la voyait se défaire d'une partie de son squelette. La chose aurait pu être agréable, sensuellement excitante en des circonstances plus grivoise mais, soudain, Doraleen sentit l'un de ses membres se contorsionner par la fulgurante violence de son ancien amant.

La jeune femme ne voulait céder, même sous la douleur, mais entre la volonté et le supplice, court était le chemin de la reddition. Ses doigts s'écartèrent et libérèrent la précieuse lame. Une gifle, sans vigueur, accompagna cette défaite, rompant ce sentiment d'invincbilité qu'elle s'était forgé pour cette bataille.

Allongée, recroquevillée sur son trophée que son adversaire lui prit lentement, Doraleen se mordit les lèvres pour ne pas se laisser aller aux larmes. C'eut été donner un tribut de trop à son ennemi qu'elle savait profiter de sa victoire.

Conquérant, Daniel resta étendu sur sa captive, humant le parfum suave et grisant de la peur. Il la contempla longuement, cette toute petite créature échevelée qui évitait son regard. Il suivit le parcourt d'une goutte de sueur qui longeait le cou de la jeune femme et alla se perdre entre ses seins qu'il avait eu le plaisir de caresser, l'assurant de sa total soumission.

Lui vint le désir de prendre la vie de sa petite chose. Il suffisait pour cela de planter la lame dans son cœur et de la regarder se vider de son sang. C'était une mort rapide et promulguant peu de souffrance.

Un geste noble. Le souvenir impérissable où il avait eu l'opportunité de voir, jadis, une femme mourir péniblement, lui avait laissé le faible remord de n'avoir abrégé son supplice. Cependant, il n'avait jamais oublié l'expérience, tout aussi troublante qu'exquise de la Mort, de ces pupilles dilatées, tandis qu'elle avait compris qu'il ne viendrait pas l'aider et qu'il allait la regarder se débattre jusqu'à son dernier souffle, tranquillement. Une part de lui, s'il ne l'avait pas faite taire, se serait précipitée à son secours. Mais Daniel Delhumeau n'avait pu permettre qu'elle vive un instant de plus. Louise Huguet le liait, en ce temps, aussi bien à Henry qu'elle n'avait été une frontière entre les deux frères.

Il entendait encore ses plaintes. Le son distordu des borborygmes et de l'eau, de son corps, de ses bras cherchant à se rattraper à une ligne de vie alors que le Rhône l'avalait goulûment. On disait que la noyade était la pire des morts. Pour Daniel elle fut savoureuse.

— Doraleen, souffla-t-il à son oreille.

La jeune femme trembla sous lui, alors que sa bouche se rapprochait de sa joue, la lame frôlant la veine palpitante qu'il avait le désir de mordre et qu'il ne fit qu'effleurer de ses lèvres, résurgent plaisir de leur ancienne liaison.

66 Exeter Street, Tome 1 : Le secret de la chambre 36 [TERMINÉ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant