11 - Acteur et actrice - Partie 1

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Sans grand changement, Doraleen voyait se profiler une journée commune à toute autre. Les travaux du matin, le ménage à effectuer, les repas à préparer, le tout bercé par une écrasante chaleur qui lui faisait désormais regretter les jours d'hiver. 

Pourtant, en ouvrant la porte de sa chambre, le quotidien fut bousculé en un instant. Sur le pas de sa porte se trouvait son matinal bouquet de pivoines chinoises. D'ordinaire, elle le trouvait sur le petit perron ou livré par un jeune sans le sou qui faisait son pain de ces petites livraisons. Intriguée, elle le prit, en chercha la carte qui, cette fois, ne s'y trouvait pas. Relevant le visage de plus en plus circonspect, la miss descendit avec ses fleurs dans la cuisine. Elle déposa le bouquet sur la table et, dans ses allers et venus, n'avait de cesse de s'arrêter devant, le considérant comme attendant une réponse de sa part pour reprendre ses activités. Si son intuition ne la trompait pas sur l'identité de son "admirateur", que voulait dire cette nouvelle façon de faire ?

Poppy miaula à grand renfort de coup de griffe dans ses jupons et Doraleen abandonna le fruit de ses interrogations pour lui ouvrir la porte. L'aube naissait, le ciel serait encore sans nuage aujourd'hui. Soudain, l'impression que sa journée n'allait finalement pas être aussi ordinaire, la jeune femme fixa l'éphéméride clouée au mur, en arracha le bulletin de la veille pour voir s'afficher en gros caractères, griffonnés au graphite par la main assurée de sa tante, une corvée supplémentaire : Loyer !

Doraleen en poussa une exclamation de surprise. Elle avait totalement oublié cette charge qui lui incombait le temps de l'absence de sa tante et avait presque souhaité ne pas s'en souvenir. Prenant son courage à deux mains, elle se munit du précieux petit carnet de cuir rouge fourni d'un crayon, prit son plateau et commença Miss Forster. La tête de la jeune femme dépassant à peine de la porte, les cheveux encore défaits, se targua cependant d'un "bonjour" bien vibrant. Doraleen la soupçonnait de compatir grandement à sa condition.

Mal à l'aise de demander le loyer, Doraleen souffla d'aise en voyant qu'elle se délivra de ces quelques deniers contre la quittance sans qu'elle même eut besoin de prononcer un mot, la simple vue du carnet suffisant. Agréablement, la jeune femme encore Catherinette, échangea quelques mots en sa compagnie et elles se quittèrent toutes deux sur les misères qu'il incomberait de faire subir aux messieurs indélicat, le cœur léger. En pensant à cette engeance, Doraleen se souvint de Monsieur Berger chez qui elle allait devoir frapper. Le soupçonnant de ne pas être encore rentré ou dormant pour cuver sa soirée de débauche, elle remit à plus tard ce dernier et alla s'occuper d'Alice. Lui apportant son plateau, son amie était déjà habillée, fraîche et pimpante. Pourtant, il y avait dans son attitude une étrangeté, une sorte de gêne qu'elle trouva tout aussi étrange que le début de journée.

— Comment allez-vous aujourd'hui, Alice ?

— Fort bien. Pourquoi ?

Doraleen posa le plateau sur la petite table recouverte d'un châle en guise de nappe, dernières petite excentricité de la mode, et observa la jeune locataire qui s'affairait à s'occuper de sa toilette pour ne pas la regarder. Une attitude qui lui rappelait son ancienne vie. 

— Et bien... Vous allez bien ? Vous semblez fiévreuse, vous êtes empourprée, Alice. 

La jeune femme se précipita à son miroir. Elle inspira profondément, menaçant de faire exploser les coutures de son corset. Le rouge aux joues, comment ne pouvait-elle pas se sentir mal à l'aise devant Doraleen en songeant au baiser passionné qu'elle avait échangé la veille avec Henry Delhumeau. Son ventre en palpitait encore d'émotions en y repensant et avait la soudaine et désagréable impression d'avoir trahi son amie, désormais qu'elles s'étaient liguées contre leur voisin.

66 Exeter Street, Tome 1 : Le secret de la chambre 36 [TERMINÉ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant