4 - Secret - Partie 2

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La fin de journée approchait et Alice n'avait toujours vu aucune trace de Delhumeau. Elle s'en était inquiétée auprès du colonel qui feignit de s'en arranger. Mais elle avait soutenu son regard et bien compris qu'il était tout aussi préoccupé. Plutôt circonspect en vérité, il avait demandé à être prévenu de son retour, quelle qu'en soit l'heure, avant de partir rejoindre son épouse avec qui il était censé aller à des mondanités. La jeune femme tenait encore entre ses doigts le carton où il avait noté l'adresse. L'écriture était fine, penchée, sèche, à l'image du personnage, et indiquait une maison dans une rue chic. Elle s'en amusa et observa la pluie qui, depuis dix bonnes minutes, tombait avec frénésie, comme si elle ne voulait omettre aucune surface, ni aucune personne. Léchant les murs, elle tambourinait le pavé, accompagnée de quelques éclairs sans tonnerre. Après ces quelques jours de canicule, elle ne regretta pas cette ondée céleste, mais juste qu'elle advienne à un moment si inopportun. Sa journée avait été courte. Son patron au pub n'ayant pas besoin de ses services pour aujourd'hui, la jeune femme se félicitait déjà de pouvoir profiter de sa soirée. Mais la disparition de Delhumeau suscitait chez elle un tel excès d'angoisse qu'elle ne profitait de rien. La pendule de l'entrée sonna les dix-huit coups. Elle observa le couloir vide puis retourna son attention au-dehors. Ne s'imaginant pourtant pas que la pluie pouvait tomber plus dru, elle constata que c'était mal connaître les éléments et réduire leur puissance. Les cordes tombaient avec tant d'intensité, désormais, qu'elle voyait à peine les maisons qui faisaient face à la sienne.

― Que regardez-vous ?

― La pluie, répondit machinalement Alice avant de se retourner vivement.

Face à elle, la main sur la console, l'autre serrant le noir de sa robe, Doraleen se tenait. Doucement, elle s'était approchée d'Alice avec tant de discrétion, que cette dernière n'avait pas perçu sa présence.

― Nous n'avons pas eu le temps de nous présenter. Alice Appletown, je vis au deuxième.

― Doraleen McFear. Je suis la nièce de Mrs McFear. Elle me loge gracieusement pour quelque temps.

― Oui. Je... j'avais compris cela. Vous avez été souffrante ?

Doraleen inspira si difficilement qu'Alice s'en voulut d'avoir posé une telle question.

― Oui... mais cela va mieux aujourd'hui.

― Au fait, vous a-t-il fait des excuses ?

― Qui donc ?

― Monsieur Delhumeau.

La jeune femme rougit.

― Oui. Mais c'était véritablement un accident.

― Avec lui... Je me pose la question. Méfiez-vous en.

― Je l'aime bien.

Alice la considéra avec stupéfaction.

― Vous n'avez pas encore fait le fruit de ses assiduités, c'est pour cela.

― Peut-être. Et vous-même ?

― Oui... Mais pas au sens où nous l'entendons, il est... d'une incroyable curiosité.

Doraleen rit de bon cœur

― Ma tante m'en a dit la même chose mais en des termes moins mesurés. Je me tiens donc sur mes gardes mais... Il me semble vraiment charmant.

― Et en quoi ? C'est un sale bonhomme au caractère plus affreux encore.

― J'y vois autre chose. De la souffrance.

La voix était douce, presque maternelle.

Alice poussa une exclamation de dédain, n'y croyant pas, et reposa son attention sur la rue. La pluie se calmait peu à peu. Les quelques rosiers qui longeaient la barrière avaient bien profité de cette eau qui les rendrait plus beaux qu'ils ne l'étaient déjà. Près des marches une petite boule de poil se calfeutrait dans un trou creusé par le temps.

66 Exeter Street, Tome 1 : Le secret de la chambre 36 [TERMINÉ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant