17 - CP 08 27 - st 33 - Partie 2

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Les linéaments ondulants et lumineux se dissipèrent en même temps qu'une partie de ses sens réapparurent. Le corps lévitant encore sur un nuage agréable, Doraleen poussa une longue plainte, prise dans cette torpeur dont elle voulait réchapper, l'estomac retourné. Mais à sa volonté ne répondait qu'un corps toujours prisonnier. Voulant regarder sur le côté, sa tête lui échappa et tomba mollement sur un large oreiller. Elle reconnut sous elle le lin et la dentelle au crochet et cette subtile fragrance de lavande, sensiblement musquée. Le lit d'un homme. Cette judicieuse constatation réveilla brutalement son cerveau et peu à peu décanta sa mémoire : elle n'était plus au 66 Exeter Street mais dans un tout autre lieu.

Une voix forte vrilla ses oreilles sensibilisées par son lent réveil, en même temps qu'elle sentit que l'on soulevait son bras et découvrait son poignet de la fine mousseline de sa manche.

— Elle se réveille, Sir.

— Bien.

— Comment vous sentez-vous ?

Cette question qui lui était dévolue avait cette légèreté de ton qui tranchait avec la violence de son enlèvement. Mais Doraleen fut incapable de répondre, sa mâchoire ne répondant pas à son besoin d'exprimer son ressentiment qui se serait bien targué d'une insulte ou deux.

Sir Leiton jeta un regard sur le professeur Appletown qui reposa le bras de la jeune femme, satisfait de son pouls.

— Vous n'y êtes pas allé de main morte avec la dose, il va lui falloir quelques minutes pour émerger, Sir.

Se retournant pour considérer son reflet dans le miroir, Sir Leiton se contenta d'un ordre bien senti, jeté d'un ton laconique.

— Sortez et attendez moi près de la voiture. Je serai prêt dans quelques minutes.

Lawrence Appletown était coutumier des humeurs et exigences de son associé. Si, à leur début, il s'en était formalisé pris de cette sensation qu'il n'était qu'un élément négligeable, tout au plus un laquais à son service, il avait comprit au long cours des jours que Sir Leiton, en prime d'avoir ses secrets, était un être instable que la folie guidait tout autant qu'une logique étrange et personnelle. Il s'en était arrangé, trouvant un bénéfice intellectuel dans ses travaux et des avantages pécuniaires qui mettaient de côté son orgueil.

Prenant sa canne et son chapeau qu'il avait déposé dans ce qui était la chambre privée de son associé, le professeur Appletown ouvrit la porte de métal et la chaleur étouffante s'engouffra dans la pièce la plus fraîche de ce complexe, principale cachette de leur travaux.

— Ne tardez pas trop.

Comme il s'y attendait Sir Leiton ne répondit pas, se contentant de se fixer dans le miroir. Désabusé de voir cet être d'une grande intelligence se perdre dans les méandres de son esprit en froid avec la lucidité, il referma la porte et descendit les escaliers métalliques au bas desquels Reynald attendait sagement son maître.

Cette âme damnée, chien fidèle, lui sourit par égard. Mais en homme méprisant les basses couches de la société, Lawrence Appletown ne lui décocha pas même un regard et ordonna au jeune Prisham d'amener la voiture au plus près des grandes portes. Le courroux qui nourrissait ses veines en l'instant, rendait son souffle court, erratique et permutait sa voix d'ordinaire assurée en un son éraillé et condescendant.

Le jeune homme qui voulait satisfaire ses sauveurs ne se fit pas prier et traversa l'atelier de ses longues jambes en direction de la cour.

Se défaisant de ses gants, Lawrence ouvrit une mallette en bois et considéra les quelques précieux flacons qu'elle renfermait. Quatre années de travail déjà bien entamées en quantité et qu'il allait falloir renouveler, dorénavant. Il déposa la précieuse formule, récupérée dans les appartements de sa fille et referma la mallette avec les soins d'une clé qu'il garda en main. Sir Leiton ne manquerait pas de la lui demander dès qu'il sortirait de sa chambre.

66 Exeter Street, Tome 1 : Le secret de la chambre 36 [TERMINÉ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant