3 - Arrestation - Partie 2

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Doraleen remit en place une boucle baladeuse en se mirant dans le miroir du vestibule. Elle se trouvait affreusement pâle et ses yeux bleus comme un soir d'orage avaient perdu de leur éclat. Son visage en triangle avait maigri mais pas perdu de sa symétrie et sa fine taille était camouflée dans une vulgaire robe de coton noir, devenue trop large pour elle. La seule qu'elle n'avait pas vendue pour se nourrir. La jeune femme se trouva insipide, sans attrait aucun. Elle qui, il y a quelque temps encore, avait fait se pâmer bon nombre d'hommes qui déclamaient poèmes, offraient bouquets de fleurs et présentaient des rivières de diamants pour ne serait-ce qu'un baiser de sa bouche. Rien ne l'avait préparée à la trahison la plus infâme et, désormais, sa vie de jeune fille désinvolte à qui tout souri était finie. Réduite en poussière avec tout le reste. Doraleen estimait avoir perdu son charme et sa jeunesse, à tout juste vingt-trois ans.

Elle inspira profondément et se retourna pour se confronter au regard de sa tante. Elle y décrypta du reproche nimbé d'une protection toute maternelle.

― Es-tu sûre, mon enfant ? Tu es si pâle, tu devras garder le lit encore un peu.

― Merci, ma tante, mais je dois m'occuper. Et je ne peux pas rester sous votre toit sans vous rendre service en remplacement d'un loyer.

― Ne dis pas de sottise, ma fille ! Tu es ma nièce et je n'ai jamais abandonné un membre de ma famille dans le malheur.

La jeune femme baissa la tête, affligée d'être dans une promiscuité qui faisait d'elle une assistée.

― A cet égard je tiens à vous être utile et agréable. Vous m'avez écoutée. Vous êtes venue à mon secours. Vous m'avez probablement sauvé la vie, vous et le docteur Ferguson. Il est temps pour moi de vous être redevable.

Mrs McFear soupira, abandonnant tout espoir devant ce caractère qu'elle savait gauche, désinvolte, un brin candide mais volontaire, courageux et fier.

― Bien. Accompagne-moi.

La suivant de bon train, Doraleen redécouvrit la cuisine où elle revoyait sa tante préparer les repas jadis, du temps où elle venait en vacances et où elle escomptait faire montre de ses talents. Le petit salon où elle et ses sœurs avaient passé de longues soirées à jouer et le grand salon donnant sur le 68, prolongement des biens de sa tante, la lingerie aménagée au rez-de-chaussée du 68. Dans ce petit réduit, se trouvait également tout le nécessaire au nettoyage des escaliers et des appartements, dont une partie du ménage était à la charge de sa tante. La jeune fille, méticuleuse, fit une liste mentale de toutes les tâches qu'elle avait à faire et que sa tante n'avait pu accomplir jusqu'à présent, devenue trop âgée. Après avoir visité les deux maisons, le greniers du 66 - celui du 68 aménagé en chambre simple - où le linge pouvait être séché l'hiver, les deux femmes redescendirent. Épuisée, Doraleen se voyait s'étendre un peu et se reposer mais elle préféra se rabrouer et cacher sa fragilité à sa parente, en conversant.

― Qui vit à cet étage ? demanda-t-elle en arrivant au second du 66.

― Ah ! Ici vit Miss Appletown. Elle travaille comme couturière le jour et fait quelques soirées dans un pub pour arrondir ses fins de semaine. Je désapprouve totalement ce genre... d'activité, mais je lui reconnais une grande volonté. Et elle n'a pas la langue dans sa poche, celle-là. Elle se donne des airs, mais elle les vaut bien.

D'un regard défiant, Mrs McFear toisa sa jeune nièce.

― J'ai bien peur que vous ne vous plaisiez toutes les deux !

― Ma tante... Pourquoi dire cela avec âpreté ? J'ai commis des erreurs mais je ne tiens pas à les renouveler. Le prix est trop grand.

Devant la tristesse de sa nièce, Mrs McFear se radoucit aussi subitement qu'elle était devenue méfiante et passa sa main ridée sur son jeune visage.

66 Exeter Street, Tome 1 : Le secret de la chambre 36 [TERMINÉ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant