16 ― Le retour du père - Partie 1

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Le ciel était lourd, bas, chargé au loin de rouleaux noirs écrasant l'azur des cieux. C'était l'annonce d'un orage que toute la cité attendait, sans être certain qu'il apporterait un peu de fraîcheur à cette canicule mémorable qui sévissait depuis plus d'un mois. Les deux hommes, qui longeaient Oxford Street pour rejoindre Martin Street ou s'érigeait le Regency Hotel, étaient dans cette même excitation qui, toutefois, n'avait cette fois rien à voir avec l'été et la météo.

Delhumeau était taciturne, pour ne pas dire silencieux. Se moquant bien des beautés de Londres et de ses charmes par une si belle journée, le poids de son esprit qui s'employait à décortiquer toutes les trames de cette affaire lui tordait les boyaux. Et il n'était plus sûr de vouloir continuer dans cette direction. Envisageait-il d'ordonner au cocher de faire demi tour et de s'enfermer dans ses appartements, afin que cesse ce cauchemar ? Une belle utopie. Rien ne le séparerait de son ennemi et surtout pas son honneur qui ne saurait pas s'arranger d'une telle couardise.

Témoin de cette torture inhérente à des faits qu'il ignorait, Ferguson était inquiet autant pour la suite des événements qu'envers les rapports qu'il devrait entretenir avec Alice Appletown. Loin de transgresser ses liens d'amitié, il avait toujours eu grande confiance en Delhumeau et ses supputations, aussi fantaisistes pouvaient-elles paraître parfois. Si Alice Appletown avait bel et bien quelques accointances avec cette affaire, si elle en était même complice, quelle foi pourrait-il apporter par la suite à son propre jugement ?

― A quoi pensez-vous Delhumeau ? finit-il par demander

― Que je suis un imbécile doublé d'un crétin. Vous avez votre arme Ferguson ?

Ferguson sortit un six coups, souvenir de sa jadis carrière de militaire qui ne lui manquait en rien.

― Parfait.

Tapant d'une rage subite l'entre-coin de la cabine, de la canne de Ferguson arrachée avec véhémence, la voix de Delhumeau se fit forte et atrabilaire.

― Plus vite, cocher.

― Je parlais de l'affaire de l'hôtel... renifla Ferguson, en inspectant sa canne pour s'assurer qu'elle n'avait pas trop souffert.

Sourcillant, effaré, Delhumeau en était prostré dans son coin.

― Je parlais également de l'hôtel. Vous songiez à quoi ?

― A rien, Delhumeau, à rien. Nous devons tous être des imbéciles doublés de crétins, murmura-t-il. Nous n'avons été malin, ni vous ni moi. Alice... Miss Appletown.

― Ce petit roitelet va bientôt chanter une toute autre mélopée, vous pouvez m'en croire, Fergus !

― Si elle a quelque chose à voir avec cette histoire, dites-moi.

Tourmenté d'une ire qu'il peinait à réprimer, Delhumeau se pinça la base du nez. A cet instant, Ferguson put constater les marques sur les phalanges. Traces évidentes de plusieurs coups de poing, elles étaient les stigmates d'une récente altercation, d'une violence extrême. Pour Delhumeau, le souvenir plaisant d'un instant où il avait pu se défouler et extérioriser sa rage qui bouillonnait en lui, depuis son petit-déjeuner en compagnie de Doraleen McFear.

― Vos mains ! Que s'est-il passé, Delhumeau ?

― Rien de plus que l'éclatante vérité, mon ami.

― Dites-m'en plus.

― Vraiment ?

― Vraiment !

― Soit... Je me suis rendu dans l'ancien quartier où vivait Alice.

― Vous saviez donc son ancienne adresse ?

66 Exeter Street, Tome 1 : Le secret de la chambre 36 [TERMINÉ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant