10 - Les regrets - Partie 1

713 97 33
                                    

Hyde Park en cette période de l'année était un lieu de pleine jouissance ou la promenade était le fleuron de toute une population qui venait s'y adonner. A l'ombre des arbres, longeant la Serpentine ou profitant d'une balade en barque, les dames se pavanaient dans leur robes aux couleurs pastels devant des messieurs amoureux. Fleurs de dentelle, mousseline et flanelle dans un champs de verdure se jouaient des butineurs aux costumes beiges, vestons légers et chemises de lin.

Par la canicule, Hyde Park était cet étrange endroit où les classes qui hiérarchisaient Londres n'avaient plus prise. Aristocrate et bourgeois étaient au même rang que l'ouvrier ou le pauvre. Doraleen aimait cet endroit et se souvenait du plaisir qu'elle avait à s'y promener en compagnie de ses amies ou amants, auparavant. Elle jouait la coquette et taquinait les sentiments de ces messieurs qui faisaient mille efforts pour un sourire d'elle. Aujourd'hui, elle y était seule et observait longuement l'homme qui l'attendait avec une patience touchante.

Doraleen n'osait s'approcher. Les mots de Delhumeau raisonnaient encore dans sa tête et la faisait se sentir coupable. Mais une autre part d'elle avait envie de savoir si une réelle relation pouvait lui être donnée ou s'il était de ces hommes qu'elle avait connus et rompus de ses minauderies et dont elle devait désormais se défaire. Prenant son courage à deux mains, Doraleen inspira profondément et finalement s'approcha, les rubans de son petit chapeau de paille piqués dans son chignon de boucles, chatouillant son nez.

― Bonjour docteur.

Le docteur Harrow se retourna le collier de barbe ne masquant rien de l'affliction joyeuse de son visage.

― Ah, miss McFear. Je me faisais un sang d'encre.

Il la considéra de bas en haut, avec un plaisir nullement feint. La robe blanche, aux ruchés plats et le corsage du même tissu agrémenté d'un nœud violet était des plus chatoyant, mais en même temps bien sage.

― Cela valait cependant la peine d'attendre. Vous êtes ravissante.

― Merci. Docteur Harrow. Je vous dois une certaine vérité, sur mon retard, cependant. J'ai failli, en fait, ne pas venir. Comprenez-vous...

― Je suis un inconnu rencontré dans la rue. Et bien que je vous ai sauvée, cela ne me donne pas le droit de croire que quelque chose nous lie. Aussi, vous vous demandez ce qui peux bien m'avoir poussé à vous demander de vous revoir, si ce n'est la sensation de croire que vous êtes une jeune femme légère qu'il me serait facile de séduire et... pardon mais, faire ma maîtresse ?

Perturbée par ces vérités assénées aussi galamment que la rudesse de monsieur Delhumeau, Doraleen en resta la bouche en cœur, les yeux grands ouvert et le front marqué de plis. Était-elle donc destinée à ne rencontrer que des hommes capables de lire en elle, ou bien était-elle si prévisible qu'il était possible au tout-à-chacun de la cerner sans difficulté ?

― Oui. C'est en substance cela. Est-ce la vérité ?

― Oui... et non.

― Pourriez vous être plus explicite ?

Harrow sourit et d'un geste fait d'égard, il l'invita à s'asseoir sur un banc libre. Il y déposa sa canne et se mit face à elle. Un vent chaud passa entre-eux, faisant soulever le ruban du nœud et quelques mèche de cheveux. Traversée du regard du docteur, Doraleen se redressa avec une froideur dont elle ne se serait pas crue capable devant un homme qui ne la laissait pas indifférente et la plongeait en même temps dans ce malaise que son locataire savait insinuer en elle de sa simple présence.

― Miss McFear. Je dois avouer que je ne suis pas de ces hommes qui s'amusent dans la vie. J'ai certes le ton léger, mais j'aime à penser que je suis quelqu'un en qui une femme peut avoir confiance. Quand je vous ai rencontrée, j'ai senti en vous cette légèreté que certaines bonnes mœurs pourraient réprouver. Mais loin de moi l'idée de vouloir en profiter. J'avais plutôt l'envie de découvrir la femme. Vous êtes une jeune personne tout à fait charmante... pétillante ! Et si je me suis permis de vous proposer de vous revoir, c'est que vous ne m'avez pas laissé indifférent. J'avais alors le désir de mieux vous connaître et de savoir s'il était possible que le destin m'apporte enfin un peu de joie et de couleur dans une vie monotone et terne.

66 Exeter Street, Tome 1 : Le secret de la chambre 36 [TERMINÉ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant