12. Les Doux aveux - Partie 1

632 89 17
                                    

La matinée avait été une longue suite de corvées auxquelles Alice se trouvait maintenant des prédispositions presque étonnantes. Réglées comme du papier à musique, ses tâches se révélaient désormais plus simple qu'elle en connaissait tous les petits gestes. Si bien que onze heures sonnant dans le couloir, son travail était fait.

Elle profitait donc d'une petite pause, seule. Jane avait encore disparu. Un fait récurrent chez elle, que Windford paraissait ne pas voir ou vouloir ignorer et la jeune femme en avait conclu que ses relations plus qu'intimes avec le directeur Leiton devaient jouer en sa faveur. Jouissant d'un calme relatif, la jeune femme sirotait une citronnade bien fraîche que le jeune groom de l'étage lui avait apporté.

Ce jeune garçon de 17 ans, John Prisham, était d'une discrétion sans égale. Le genre de petite souris que Delhumeau n'aurait pas rechigné à avoir dans ses rangs, songea-t-elle en desserrant le col amidonné de son uniforme, cuisant littéralement dans sa robe trop chaude pour la canicule qui étouffait Londres. Plutôt grand pour son âge, John Prisham avait déjà été un trésor d'informations. Ainsi savait-elle que le cuisinier volait dans les stocks avec la complicité de son saucier, que le valet du premier étage avait une relation tumultueuse avec une des petites bonnes du deuxième, tout en cachant sa liaison avec une femme de service au restaurant et le fait qu'il soit en dehors de ces murs marié avec madame son épouse enceinte pour la quatrième fois.

Et le directeur n'était pas en reste. Visiblement attiré par tout ce qui portait un jupon, il avait déjà séduite une partie du personnelle féminin. Pourtant, John le jugeait homme sérieux, bien sous tout rapport. Alice jugeait elle-même contradictoire cette image entre l'homme de pouvoir qui n'avait d'affection que pour ses affaires et le volage monsieur qui troussait les jupes dans les couloirs feutrés du Regency Hôtel. Glace et feu étaient visiblement la dichotomie qui faisaient de Sir Leiton un homme bien intéressant comme les aimait Delhumeau.

Alice soupira, atterrée. Ses pensées en revenaient toujours à Delhumeau. Encore Delhumeau ! Leur baiser n'avait pas suffi à le lui faire oublier et voilà qu'elle se rendait compte qu'elle pensait désormais comme lui, ou du moins comme elle songeait qu'il verrait les choses. Et elle était sûre de son fait, elle ne se trompait pas.

Elle soupira et sortit de la petite officine. Le calme lui semblait étrange presque conspu d'odieux pièges dont elle serait la victime à son tour. Passant devant la chambre 36, elle ne put s'empêcher de s'en approcher et de tenter de l'ouvrir. Mais la clenche gardait scellée cette porte de la mort et rien ne laissait présager que l'horreur avait sévi par trois fois derrière ce panneau de bois blanc et de moulures dorées.

Alice soupira quand elle se rendit compte que Jane n'était pas revenue et que Windford l'avait laissée seule. Une idée folle et plein d'attrait lui vint en tête. Trouver le passe partout et pénétrer la chambre 36 une seconde fois. Si elle n'y découvrait rien, elle aurait au moins commis un acte digne d'un détective et qui lui ferait acquérir une connaissance supplémentaire dans l'art de trouver, voler, fouiner. Quel genre de femme Henry Delhumeau faisait-il d'elle ?

Alice remisa cet instant de moralité de coté et se hâta à la buanderie où elle savait que son chef cachait un trousseau de clé. Le long couloir agencé d'étagères pleines de draps, couvertures et courtes-pointes qu'elle avait soigneusement pliés le matin-même, se partageait la place avec des flacons de sel de bains, d'alcool de lavande et de tout ce qui se révélait être des trésors de bienfait pour les gens bien nés. Elle fouilla un peu partout et dut se rendre à l'évidence : ou bien elle ne savait pas chercher, ou bien Windford avait emmené avec lui le trousseau de clés qui lui aurait permis de se rendre dans la chambre de toutes les curiosités. Elle se blâma de ne pas être à la hauteur des exigences de son véritable employeur et se demandait où chercher maintenant pour apaiser l'appétit du français qui ne manquerait pas de lui faire noter combien son manque de talent ne lui avait apporté aucun os à ronger.

66 Exeter Street, Tome 1 : Le secret de la chambre 36 [TERMINÉ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant