EPILOGUE - LA NUIT DE NOEL - Partie 1

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La neige voletait en frêles flocons purs, dans un écrin de nuages cotonneux. Ces cristaux accueillaient l'hiver, l'adornant de sa douceur et de sa fraîcheur, dansants pour une nature qui se mourrait de l'automne. Désormais nue, elle s'habillait de ce voile de pudeur, magnifique robe immaculée.

Les enfants jouaient en ce matin dans les rues, riants de ce que la providence leur apporterait de joies simples, le lendemain. Une orange pour les plus chanceux, un petit colifichet de bois à admirer et à montrer à ses amis, la misère n'ayant pas d'emprise, même sur les plus pauvres, en cette veille de Noël. Pourtant, il était bien une âme plus triste que les autres dans un coin du cimetière d'Abney Park.

Doraleen était contemplative, le cœur emprisonné par le chagrin, tandis que quelques flocons recouvraient les lettres sculptées sur la plaque de grès.

Elle les chassa d'un revers de la main, le nom d'Aaron McFear se redécouvrant à ses yeux.

— Croyez-vous qu'il ait froid ?

Mrs McFear, qui restait debout en retrait de sa nièce et de son chagrin, jeta un regard triste sur la tombe du bébé mort-né. Que répondre aux larmes d'une mère qui avait vu les mois défiler et avec eux, un amoncellement d'instants de ce qui aurait pu être, si l'enfant avait survécu.

— Ce petit ange est mort, ma chérie.

— Je sais. Merci, pour cette plaque.

Doraleen la caressa. Son bébé n'ayant eu que de sommaire funérailles, faute de moyens et ne tenant qu'à la compassion du révérend de White Chapel, la jeune femme admira ce présent fait par sa tante. Geste noble pour un petit être qu'elle n'avait même jamais vu, ne vivant que dans le souvenir de sa mère qui avait longuement tenu contre elle son petit corps, même quand il fut décédé.

— Allons, c'est le moins que je puisse faire.

Mrs McFear inspira pour se donner le courage ne pas se laisser aller elle-même aux larmes qu'elle devinait sur les joues de sa nièce, à genoux sur le sol glacé.

— J'aurais adoré m'occuper de ce petit, comme j'ai adoré m'occuper de toi quand ma pauvre sœur avait eu la grippe, ajouta-t-elle en riant. Tu n'avais que quelques semaines. Je me souviens encore de ton père, totalement perdu alors que tu pleurais à tue-tête, tes sœurs trop jeunes pour l'aider. Tu étais un si beau bébé...

— Vous avez toujours était là pour moi ma tante. J'aurais dû m'en souvenir et mettre ma fierté de côté. Mon fils serait encore en vie.

— Il ne sert à rien de ressasser le passé, Doraleen. Allons, il est temps. Nous avons un repas de Noël à préparer.

— Oui.

Doraleen posa un baiser sur la tombe de son enfant de ses doigts qu'elle emmitoufla dans des mitaines.

— Au-revoir, mon ange. Je reviendrai te voir bientôt.

Les flocons tombèrent sur le nom d'Aaron McFear et la main de sa maman ne fut plus là pour l'en sauvegarder.

________

Il est des moments dans une vie que l'on ne souhaite vivre, affronter même par la pensée. Le genre de moments où se jouait toute une existence et en découlait de lourdes conséquences. C'était en cette fin de matinée du 24 décembre 1887 qu'Alice Appletown allait devoir affronter ses vieux démons. Un seul et tous à la fois. Lawrence Appletown, dont l'image d'un père tyrannique s'était effacée pour celle d'un homme pour qui elle n'avait plus ni crainte, ni compassion.

Pourtant ce fut tremblante qu'elle descendit les marches d'un bâtiment dans lequel elle fut emmenée en secret. La bête se trouvait là, tapis dans la noirceur de cette antichambre de la mort, maintenue prisonnière dans le plus grand secret, sa participation dans un complot visant à détruire les fondements de la paix de l'Europe n'avait été révélée au grand jour. Pas plus que l'affaire en elle-même, étouffée sans peine. Lawrence Appletown restait ainsi aux yeux de la loi, un homme disparu trois ans plus tôt.

66 Exeter Street, Tome 1 : Le secret de la chambre 36 [TERMINÉ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant