13 - Voiles d'ombres - Partie 2

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La belle demeure à trois étages, de blanc et de rouge agencés, les fenêtres à guillotine surmontées de frontons surbaissés, œuvre récente d'un architecte élevé à la postérité, était semblable à l'agréable enfilade de maisons qui longeaient une petite rue parallèle à Sloane street. De sa normalité, elle ne laissait, cependant, pas paraître ce qu'elle était en vérité.

Henry Delhumeau n'était pas dupe et depuis longtemps, les secrets français n'en étaient plus pour lui. Du moins, dès l'instant où il avait décidé de faire de Londres son nouveau territoire.

En dépit du charme des petites maisons cossues, où ne vivaient que les biens lotis de Londres, ces murs cachaient en réalité une des succursales des services secrets français en poste à Londres, avec l'aimable discrétion de l'Angleterre.

Ces deux ennemis de toujours sur la scène politique, s'octroyaient, derrière le rideau, quelques alliances que Delhumeau acceptaient avec plaisir. Car des menaces plus grandes étaient à prévoir et il ne serait pas de trop d'avoir pour allié la toute puissante Grande-Bretagne, si un conflit à venir devait éclater. Perspective qu'il espérait ne jamais voir de son vivant.

Ses yeux se posèrent sur la plaque de la rue, retranchant Delhumeau dans le ventre de sa mère : Harriet Walk. Le prénom n'était pas sans lui rappeler sa sœur jumelle dont la simple évocation avait le don de lui donner de l'urticaire.

― Oh pitié !

Soustrayant à ses pensées sa jumelle, dont il n'avait des nouvelles que de façon sporadiques et chacune clamant combien elle était maîtresse de tout, les hommes en premier, Henry, monta les marches deux par deux et entra sans frapper. Le couloir était long, vide, excepté cet homme à l'air revêche qui devait être la barrière entre l'Angleterre et la France. Il n'eut qu'à donner son identité pour qu'il consente à le laisser monter à l'étage, sans un mot. Chapuis avait parfaitement fait passer le message de son retour.

Inspectant les escaliers, il était évident que les boiseries, qui recouvraient le mur entier, étaient le fruit d'un remaniement complet de l'architecture intérieure qui répondait plus aisément aux prérogatives instituées en ce lieu. Ainsi, les salons étaient des bureaux où aucun bruit ne se faisait entendre : bureaucrates silencieux ou cloisons bien insonorisées ? La longueur du couloir laissait à penser que la succursale française grignotait sur des maisons voisines, ainsi que celles donnant sur l'arrière de la demeure. Henry Delhumeau en était à ce demander si tout le quartier n'était pas, en fait, possession de son pays, quand il se retrouva face à un petit bureau où une jeune femme s'échinait avec la plume de son stylographe. Visiblement, le mécanisme peinait à fonctionner normalement et la pétulante brune, aux lunettes cerclées de métal, en était agacée.

― Besoin d'aide, mademoiselle Clarian ?

La dite jeune femme en laissa tomber son stylo, se leva subitement et contourna le bureau en deux enjambées, ses bottines claquant sur le plancher parfaitement ciré. Son jolie visage, qui faisait des ravages du temps où Henry connaissait cette secrétaire qui officiait dans les archives de Paris, se teinta d'une acrimonie délicieusement enfantine. Que de charme naturel dans ses yeux marron rehaussés de longs cils, son petit nez constellé de petites tâches de rousseur. Une frimousse adorable. Une jeune femme tout en douceur et délicatesse que Delhumeau avait aspiré plus d'une fois à prendre dans ses bras, sans que cela ne se fut jamais passé. Que l'occasion lui fut donnée ou pas.

Pourtant, Livianna Clarian avait maintes fois montré que d'un geste, elle tomberait dans ses bras sans difficulté et que toutes formes d'intimité s'en suivrait aisément. Mais pas aujourd'hui.

Le choc de la gifle sur sa joue, lui fit admirer le portrait adorable d'une jeune fille en fleur dans une pairie de lavande, d'un trait de pinceau novateur.

66 Exeter Street, Tome 1 : Le secret de la chambre 36 [TERMINÉ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant