Chapitre 6.2

542 79 13
                                    

Jase examina mon bras tout en passant ses doigts sur les nouveaux traits noirs et délicats qui complétaient ma Marque. Il me sourit et me tapota tendrement l'épaule tandis que je restai assise sur le sol, complètement coite, pleine de sueur et le souffle haletant. J'avais mal et je me sentais fatiguée. Mais j'étais tellement heureuse... Je ne pensais pas que l'apparition de nouveaux symboles serait si douloureuse. J'avais encore l'impression que ma peau brûlait, comme si on y gravait un message au laser. Je portai ma main à mon bras et souris béatement. Ma Marque me semblait si belle maintenant. Toutefois, je ne pus m'empêcher de frissonner en repensant à la douleur que j'avais ressentie quelques minutes auparavant. J'avais envie que ma Marque se complète, mais, en même temps, j'espérais que les prochains tracés n'apparaîtront pas de sitôt. C'était trop douloureux. Je ris. Pourquoi ne pouvais-je rien faire comme les autres ? Il fallait évidemment que ma Marque, jusque-là incomplète, se manifeste maintenant, alors que nous étions en pleine chasse. Actuellement, je n'avais qu'une seule envie : rentrer chez moi et me reposer. Ce nouveau tatouage m'avait vidée de toute énergie.

Je fixai à nouveau mon bras, gravant dans ma mémoire chaque nouveau tracé. Ce dessin particulier que nous appelions « la Marque » nous différenciait des humains. Personne ne savait réellement comment elle apparaissait, ni comment elle se développait. Cela relevait un peu de la magie. Aucun scientifique ne trouvait une réponse plausible. Lorsqu'un Chasseur naissait, un point noir pas plus gros qu'un bouchon de bouteille se gravait sur son avant-bras, non loin du creux du coude, appelé « le Centre ». Après le douzième anniversaire d'un Chasseur, sa Marque se complétait peu à peu en fonction de sa personnalité et des épreuves qu'il traversait, rendant chaque tatouage unique. C'était notre ADN, notre histoire. Il était le signe de notre parcours et de nos difficultés surmontées. Les nouveaux symboles étaient toujours douloureux, mais c'était avec fierté que nous les arborions. C'est ce qui nous rendait unique.

Depuis la toute première génération de Chasseurs, notre Marque révélait nos forces. Certains symboles revenaient souvent et avaient une signification bien précise telle qu'une colombe pour une âme pure, des ronces pour le tourment, des lames pour la vengeance... Et d'autres étaient plus complexes et possédaient un sens caché. En un seul coup d'œil, on pouvait connaître une grande partie de la vie d'un Chasseur. Montrer notre Marque était une façon de nous dévoiler, d'afficher les épreuves que nous avions traversées, nos compétences, notre caractère. Certains Chasseurs étaient réputés pour leurs tatouages uniques. Lors des conférences de la BPP, chacun portait un vêtement qui mettait en valeur sa Marque et en parlait avec fierté. Malheureusement, nous étions obligés de la cacher en présence des humains, à notre plus grand désarroi. Mais c'était ainsi. Les humaines lambdas ne pouvaient pas connaître notre existence. C'était d'ailleurs pour ça que je portais toujours des vêtements très épais à l'université. Et je croisais les doigts tous les jours pour que ma Marque ne se complète pas en plein cours. Si cela arrivait, ce serait une véritable catastrophe. Même si nous étions considérés comme des légendes urbaines par la majorité de la population, certains paieraient cher pour voir un Chasseur en chair et en os. Et étant donné que nous ne comptions pas jouer les rats de laboratoire ou assouvir les désirs malsains de certains gangsters passionnés de combats illégaux, nous avions préféré cacher ce que nous étions réellement. Tant que le secret était préservé, nous étions en sécurité. Tel était la devise de la BPP.

Pour ma part, et à mon plus grand dam, ma Marque ne s'était pas développée comme elle l'aurait dû. Elle ne s'était pas complétée à mes douze ans. Je n'étais pas fier de ma Marque. Et pendant longtemps, je m'étais demandée pourquoi j'étais si différente.

À contrario, celle de mon frère s'était transformée dès ses douze ans et ne cessait de croître. La Marque de Jase était magnifique : le Centre s'était transformé en un œil détaillé. Celui-ci pleurait un liquide rougeâtre – du sang – qui se répandait sur une dague plantée dans le sol, témoignant de la tristesse et du désir de vengeance qui l'animait depuis la perte de nos parents. Peu après, des ailes s'étaient ajoutées à cette dague, indiquant qu'il me protégeait, tel un ange gardien. Cela évoquait son caractère hyper-protecteur. Des ronces s'étaient ensuite développées tout autour, dessinant des nœuds sombres et remontant peu à peu vers son épaule, signe de son mal-être suite à la perte de nos parents. Leur mort atroce l'avait beaucoup plus affecté que moi. J'étais trop jeune pour m'en souvenir. Lui, non. Ici et là, divers symboles s'étaient mêlés à cet enchevêtrement envoûtant de ronces, rendant sa Marque exceptionnelle. Et il y avait quelques jours, un nouveau symbole que nous n'arrivions pas à déchiffrer avait fait son apparition sur sa peau légèrement halée. Un « X » sobrement calligraphié entouré d'un cercle élégant trônait sur son épaule. Rien qu'en voyant ces quelques symboles, tous les Chasseurs pouvaient ressentir la souffrance et la colère qui animaient Jase. C'était pour cela qu'on le traitait souvent avec respect à la BPP.

X-TeriaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant